Sur le vif - Mercredi 06.01.10 - 10.35h
Dans l’affaire de la grève à l’aéroport, le très remuant syndicaliste Yves Mugny se trouve, un peu comme devant la porte des Enfers, face à une créature à trois têtes. En plus d’être tricéphale, ce qui est déjà peu banal, elle est invisible. Trois têtes, dont aucune ne se montre, c’est le conseiller d’Etat François Longchamp. Mythologie ou conte fantastique, une histoire qu’on hésiterait (à l’instar de certains romans de Chessex) à raconter aux enfants, les cauchemars sont si vite là.
Trois têtes : président de l’Aéroport international de Genève, ministre des Affaires sociales, président du Conseil d’Etat. C’est beaucoup. Un seul de ces titres, déjà, justifierait, disons, un peu d’attention pour ce qui est en train de se passer entre partenaires sociaux. Pour un magistrat qui ne cesse de louer les mérites des négociations contractuelles, on se serait peut-être attendu à un minimum d’intérêt pour ce conflit. Grand admirateur de Jacques Chirac, le radical se souvient-il du rôle éminent que joua le jeune secrétaire d’Etat aux Affaires sociales, entre Georges Séguy et le patronat, à Grenelle ?
Seulement voilà, dans le cas d’espèce, c’est un peu ennuyeux : président du Conseil d’Etat et président de l’Aéroport, c’est être à la fois un arbitre putatif et, à coup sûr, quoi qu’il s’en défende, un patron de l’ombre. Donc, juge et partie. Alors, on répond aux cris (certes assez vociférants) par l’arrogance du silence. C’est une tactique. Jusqu’à quand durera-t-elle ? Hier soir, en plus du socialiste René Longet, c’était la libérale Nathalie Fontanet qui appelait le ministre à pointer un peu le bout de son nez.
L’aéroport, c’est le joyau de François Longchamp. En pâmoison devant le conseiller d’Etat Louis Casaï (qui fit construire la piste en pleine Seconde Guerre mondiale), l’actuel président du Conseil d’Etat, tout fier d’avoir, il y a quatre ans, arraché ce fleuron au Département de l’Economie (dont il relevait pourtant naturellement), a voulu faire de cette plate-forme aéroportuaire sa chose. On ne touche pas, on ne salit pas l’aéroport. Surtout, on ne vient pas y braire avec des banderoles.
L’homme à trois têtes, silencieux, invisible, face aux rugissements. L’homme à trois têtes, c’est le pouvoir. Trois fois le pouvoir. Trois fois trop.
Pascal Décaillet