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  • Zappelli, l'Ange exterminateur

    Un Procureur général, dans la nef d’une Cathédrale, « instruisant » ouvertement ses ordres à une cheffe de la police vêtue d’une écharpe de maire, de beaucoup de probité candide, d’un éphèbe duvet d’écarlate sur les joues. Voilà, hier soir, qui ne relevait pas de la République de Genève, mais de l’un des plus grands films de Bunuel, l’Ange exterminateur.

    Rarement, dans le même site, tant de confusion des pouvoirs. Daniel Zappelli, ivre de son triomphe face à l’aérien Paychère, s’adressant avec une jupitérienne immédiateté à une haut fonctionnaire ne dépendant absolument pas de lui, mais du conseiller d’Etat Moutinot, au demeurant présent, mais Belle au Bois dormant, innocence, pesanteur des paupières, torpeur, tristesse de la chair, face à la tonitruance de l’homme en chaire.

    C’était tout cela, c’était Saint-Pierre, clefs du Paradis, de la toute puissance. Débordement des compétences, obédience de l’assistance, conformisme de pouvoir, noce chez les petits-bourgeois, orthonormés comme des pingouins, nord-sud, dans les travées.

    C’était une cérémonie ordinaire, retransmise, hertzienne, mariage d’Elisabeth, couronnement de Napoléon. Ne manquait que Madame Mère. Et son énigmatique sourire. Au pays de Calvin, de François Paychère, de Michel Simon, et de la longeole. Sont-ils au moins, la cérémonie finie, sortis de la Cathédrale ? Cela, seul l’Ange exterminateur le sait. Et, peut-être, quelques gisants. Souriants et rassasiés.



  • Balmer, magnifique Guitry



    Édito Lausanne FM – Mardi 20.05.08 – 07.50h



    « La Libération, j’en aurai été le premier prévenu ! ». Un bon mot, de Guitry lui-même, pour résumer avec élégance les soixante jours de prison, sans la moindre inculpation, qu’il aura dû traverser au moment où Paris, « par soi-même libéré », cherchait partout des coupables, y compris dans les directeurs de théâtre ayant continué de monter des pièces sous l’Occupation. « Reprocherait-on à un boulanger de continuer à faire du pain ? », demande Guitry à son juge d’instruction.


    Ce Guitry de presque soixante ans, cueilli dans sa maison, en robe de chambre et pantoufles, par de petites frappes qui se font appeler « FFI », c’est Jean-François Balmer qui l’incarne. C’était hier soir, sur TV5 Monde. Et c’est un bonheur que ce jeu d’acteur : comédien incarnant un autre comédien, tantôt grave et tantôt cabot, ici fataliste, là révolté, confessant ses faiblesses et ses accointances, mais rappelant qu’il n’a commis nul crime, c’est Balmer au sommet de son art. C’est Balmer et c’est Guitry, tant l’un se fond dans l’autre, l’incarne : quelques haillons, sous le peignoir rouge, de saisissante humanité.

    C’est le 23 août, soit 48 heures avant la libération officielle de Paris, que l’immense homme de théâtre est arrêté. Au milieu des combats, des sacs de sable entassés qui forment barricades contre les ultimes troupes du général von Choltitz, on l’emmène au Dépôt, cher à Simenon. Puis au Vel d’Hiv, puis à Drancy, deux lieux tout sonores, encore, de l’infamie qui s’y était perpétrée, deux ans avant. Puis à Fresnes. La prison, mais nul chef d’inculpation, jamais. Juste « la rumeur », ose confesser le juge d’instruction.

    Ce Guitry-là subit, davantage qu’il ne se révolte. Il fait souvent référence à son père, le grand Lucien Guitry, dont il tente d’extraire au greffe le portrait, qu’il veut garder sur lui. Pendant ces soixante jours, il fréquente tous les premiers clients d’une Epuration qui ne fait que commencer : ministres du Maréchal, prisonniers pour délits d’opinion, innocents ramassés à la hâte, mais aussi authentiques crapules, ayant livré des Juifs. On sait, aujourd’hui, à quel point cette « justice »-là fut expéditive, et souvent, tout simplement, n’en fut pas une.

    Reste Balmer, dans Guitry. Un travail d’acteur magnifique. À voir, et revoir. Pour Guitry, pour Balmer, et avant tout pour la seule chose que rien ne peut épurer : le bonheur, fugace mais si délicieux, de l’incarnation d’un humain par un autre.

  • Ségolène et les éléphanteaux



    Édito Lausanne FM – Lundi 19.05.08 – 07.50h


    On aime ou non Ségolène Royal, mais il faut bien avouer que l’ancienne candidate à la présidentielle française ne manque pas d’une certaine suite dans les idées. N’avait-on pas maintes fois, comme pour Pascal Sevran, annoncé sa mort : la voilà, toujours, qui resurgit. Et qui vient d’afficher ses ambitions : devenir première secrétaire du PS.

    Sur le poste convoité, elle a raison : le seul moyen d’accéder au plus haut niveau, en France, c’est de diriger l’un des grands appareils politiques, à gauche comme à droite. François Mitterrand ravissant à la vieille SFIO, celle des Mollet et des Savary, au congrès d’Epinay, en 1971, le parti socialiste. Jacques Chirac prenant à la hussarde l’UDR aux barons décatis du gaullisme, en 1976, avant d’en faire sa chose, sous le nom de RPR. Nicolas Sarkozy prenant le contrôle de l’UMP, comme tremplin présidentiel.

    L’objectif est juste, et Ségolène Royal a d’autant plus raison de le viser qu’elle est, à l’interne, détestée de tous. En politique, c’est un avantage précieux : être haï de ses pairs, avoir face à soi ces éléphanteaux qui ne demandent qu’à vous piétiner, voilà qui permet de les attaquer de front sans états d’âme. En politique, l’ennemi est toujours dans le camp, dans la famille, c’est un peu l’univers de Mauriac, avec ces haines intestines, rentrées, dans la bourgeoisie bordelaise d’avant-guerre.

    Nœud de vipères, d’autant que l’un des éléphanteaux n’est autre que son ancien compagnon, père de ses quatre enfants. Visage d’apothicaire, le Monsieur Homais du paysage politique français, mais esprit très vif lorsqu’il s’agit de trouver les armes pour conserver sa boutique. Diable, de Mauriac nous serions passés à Flaubert, mais toujours la puissance de cette Province, ici girondine, là normande, ou encore poitevine pour Ségolène, et là aussi c’est un avantage : cette candidate de 2007, moins bonne que Sarkozy sur le fond, avait sur lui l’avantage de ressembler à la France. Cette fois-là, ça n’avait pas suffi. Mais demain, après-demain ?

    Il ne faut pas sous-estimer Ségolène Royal. Contre le cuir et la masse des éléphanteaux qui se ressemblent et peut-être s’annulent, en voilà une qui s’affiche et qui existe. Oh, je ne prétends pas qu’elle ait l’envergure, ni le génie politique, de refaire le coup d’Epinay (en 1971, François Mitterrand était un solitaire, face à l’appareil), mais elle a raison de se lancer dans ce combat. Contre le maire de Paris, je ne suis pas sûr du tout qu’elle parte nécessairement perdante.