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Sur le vif - 31.08.24 - 16.36h"Jetzt kann zusammenwachsen, was zusammengehört" : le 10 novembre 1989, quelques heures après la chute du Mur de Berlin, dont il avait été un éblouissant Maire avant de devenir le plus grand Chancelier allemand de l'après-guerre (1969-1974), Willy Brandt résume en quelques mots saisissants la situation. En substance, "Maintenant, ce qui est du même terroir va pouvoir croître ensemble". Cette phrase, dans toutes les variantes de sa citation, hante ma mémoire, depuis 35 ans : pas un jour sans qu'elle ne surgisse dans mon esprit.En évoquant l'idée d'un terroir commun ("was zusammengehört"), à quoi fait référence Willy Brandt ? À la communauté (Gemeinschaft) d'appartenance allemande. Lui, l'homme de l'Ostpolitik, l'homme du Traité de 1970 avec la Pologne, l'homme de la génuflexion de décembre 1970 devant le Mémorial du Ghetto de Varsovie, lui l'ancien Maire de Berlin qui avait accueilli Kennedy, lui l'opposant de toujours au Troisième Reich, salue la possibilité d'un destin réinventé en commun, après 44 ans de séparation, entre Allemands de l'Est et Allemands de l'Ouest.Social-démocrate, il n'entrevoit pas cette communauté de destin avec la vulgarité gloutonne d'un Helmut Kohl, qui, sous prétexte de "Réunification", a purement et simplement phagocyté la DDR dans un système capitaliste sauvage. Tout cela, sous les applaudissements, d'une incroyable niaiserie, de voisins européens submergés par l'anticommunisme primaire que les Reagan et les Thatcher avaient fait déferler sur l'Europe. Comme si quarante ans d'Histoire de l'Allemagne de l'Est, donc quarante ans d'Histoire allemande TOUT COURT, devaient se résumer à la simple condamnation d'un régime politique, en effet caricatural. Comme si quarante années de vie associative, festive, fraternelle, culturelle (de très haut niveau !), théâtrale, musicale, littéraire, sportive, scientifique, professionnelle, syndicale, n'avaient pas, elles aussi, façonné la DDR.La sauvagerie de ce capitalisme, injecté de force par le système Kohl, sans le moindre égard pour le besoin d'Etat, de protection sociale, d'attachement à une Maison commune de l'Est, toutes choses héritées d'une conception à la fois prussienne, kantienne, hégélienne de la vie publique, mais aussi profondément bismarckienne, au nom d'un capitalisme qui n'était même plus (hélas !) rhénan, mais de la pire veine anglo-saxonne néo-libérale, on sait aujourd'hui quels en furent les dégâts, dans le tissu des cinq Länder actuels issus de l'ex-DDR : Sachsen, Thüringen, Sachsen-Anhalt, Brandenburg, Mecklenburg-Vorpommern. Sans compter Berlin.La sauvagerie du capitalisme de Kohl, ajoutée à l'ouverture inconsidérée des frontières en 2015 par Angela Merkel, tout cela crée un mélange explosif. Dont nous pourrions avoir, demain soir dimanche, une partie de la facture.Pascal Décaillet
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Rosenkavalier, duo final
Sur le vif - Jeudi 29.08.24 - 13.42hDepuis hier soir, je ne puis me défaire, tant il m'habite, de ce miracle de l'ultime duo du Rosenkavalier, écouté hier soir sur Mezzo. Plus j'y pense (mais "penser" n'est pas le mot, lorsqu'il s'agit de musique, tant c'est corporel, matériel, et par là-même, par la fulgurance d'un paradoxe, de la plus haute spiritualité), plus je me dis que nous sommes, dans cette fusion de deux voix sublimes, dans l'un des moments les plus puissants de l'Histoire de la musique.Très tôt dans mon adolescence, dès mon premier contact avec la musique de Richard Strauss, immédiatement suivi de la découverte de ses Lieder, j'avais été saisi, violemment, de ce sentiment-là : celui d'une musique unique au monde, wagnérienne par sa capacité de surgir, mais à la fois mozartienne dans son infinie finesse.Toute ma vie, chaque rencontre avec Richard Strauss, d'Elektra aux Métamorphoses, en passant par tous ses opéras sur livrets de Hugo von Hofmannsthal (que j'ai étudiés de près, il y a si longtemps, avec Bernhard Boeschenstein), a été comme un choc électrique : la propulsion dans un autre monde.Vous emmener, sans retour, vers Jupiter. C'est peut-être cela, la musique.Pascal Décaillet -
Fascinante Ruhr !
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 28.08.24
Pour la seconde année consécutive, nous avons visité en famille les usines et les mines de charbon de la Ruhr, au début des vacances d’été. Ma fille cadette vit au cœur de cette région passionnante, elle y enseigne à l’Université de la Ruhr. Toute ma vie, j’ai traversé tant de fois l’Allemagne, du Sud au Nord, puis retour, sans m’arrêter dans la Ruhr (sauf avec mon père, passionné de visites d’usines, en 1968). C’était un tort : cette région est totalement captivante, je vous la recommande.
La Ruhr, c’est toute l’aventure du charbon allemand. Elle en fut pendant deux siècles, avec la Silésie, le principal pourvoyeur. Il y a une trentaine d’années, on a fermé les mines, mais le peuple de la Ruhr, avec une rare puissance de nostalgie, en cultive jalousement la mémoire. Ainsi, je vous recommande le Musée de la Mine à Bochum : il faut compter au moins une demi-journée pour le visiter, tant il est bien présenté, passionnant historiquement : toute l’aventure du charbon, depuis Frédéric II de Prusse.
Cette année, nous avons visité plusieurs sites miniers, entre Bochum et Essen : partout, une muséologie impeccable, le goût de la friche industrielle intelligente, comme on en trouve en ex-DDR. Partout, l’attachement mémoriel d’une population à une aventure industrielle incomparable. Partout encore, des cheminées d’usines, comme des flèches de cathédrales, témoins du génie industriel de tout en peuple. Je vous recommande absolument de visiter la Ruhr !
Pascal Décaillet
*** Photographie PaD : la Zeche "Zollverein" à Essen. Friche industrielle et muséographique, construite à l'endroit même d'une mine de charbon historique.