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Les heureux déracinés de la malédiction

 
 
Sur le vif - Mercredi 19.06.24 - 13.36h
 
 
 
J'observe et commente la politique depuis tant de décennies, et puis vous dire une chose : il n'est de pire drôle, il n'est d'amateurs de la pire espèce que ces zigomars qui prétendent "faire de la politique autrement".
 
Cette prétention, c'est quoi ? C'est s'estimer soi-même au-dessus des contingences qui, par nature, noircissent la politique : la folie de l'appétit du pouvoir, le tragique de l'Histoire, l'immanente malédiction de la nature humaine.
 
Tout cela, tout ce côté évidemment moins présentable du combat politique, mais tellement vrai, tellement enraciné, ce serait pour les autres. Ils seraient, eux, délivrés du poids de l'ambition humaine. Ils seraient la promesse d'un autre ordre, d'une autre nature. Ils seraient, contrairement à tous les autres, d'heureux déracinés de la malédiction.
 
Je les vois défiler, depuis toujours. "Ni gauche, ni droite", ce seraient là des valeurs caduques, des reliquats de la Révolution industrielle, de la lutte des classes. Aucune référence historique, l'homme nouveau n'a pas besoin d'admirer de poussiéreux ancêtres. Aucune lecture politique, non, rien, on arrive, on se pose là, on déclare "Je vais faire de la politique autrement".
 
Je vous le dis, aucun de ces drôles, que j'ai vu défiler, n'a survécu davantage qu'un an ou deux. Le tragique les a rattrapés, d'autres se sont imposés, ils ont pris congé par des billets condamnant la brutalité de l'action politique. Et puis, ils ont fait autre chose.
 
De tous les grands hommes de mon panthéon politique, de Charles de Gaulle à Bismarck, en passant par Willy Brandt, Mitterrand, aucun n'a fait "de la politique autrement". Tous mouillés dans le jeu du pouvoir.
 
Une seule et unique exception, cependant : cet homme qui a gouverné la France pendant sept mois seulement, du 18 juin 1954 au 6 février 1955. Il a pris des engagements d'une audace extraordinaire, concernant la fin de la guerre d'Indochine. Il les a tenus, au jour près. Il a cherché l'intérêt général. Et puis, un beau jour, la combinazione de la Quatrième l'a renversé, par un vote de refus de confiance. Il est parti. Il n'est jamais revenu. Cet homme rare, unique, s'appelait Pierre Mendès France.
 
Lui seul, peut-être, à la fin de sa vie, pouvait se dire : "J'ai fait de la politique autrement".
 
 
Pascal Décaillet

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