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Jaccottet, Beethoven, Schubert : derniers soupirs, dernières notes

 
Sur le vif - Mardi 09.08.22 - 01.36h
 
 
Depuis des années, chaque début août, je vous parle du Festival du Toûno, à Saint-Luc, où se mêlent avec un rare bonheur la voix humaine et les notes de musique. Le Toûno, dès les premières éditions, c'est une affaire de passion, un pari sur l'intelligence et sur la sensibilité, une polyphonie sur les hauteurs.
 
Là, nous sommes en pleine nuit. Je reviens à l'instant de Saint-Luc, nous sommes redescendus dans la grande vallée, puis remontés de l'autre côté, tout sonores, tout vibrants. Quelque chose de fort s'est produit. La Clarté Notre-Dame, dernier texte de Philippe Jaccottet, qui nous quittait il y a dix-huit mois à Grignan (nous sommes allés voir sa tombe, à Pâques, avec mon épouse). Puis, le dernier quatuor de Beethoven. Puis, celui de Schubert. Dans ces trois moments bouleversants, l'approche de la mort, oui. Mais l'intensité de la vie. Lumière. Énergie. Pulsations. Ruptures de rythme. La vie, malgré tout.
 
La Clarté Notre-Dame, lue par Caroline Gasser, Christian Robert-Charrue, Claude Vuillemin. Trois tessitures qui se répondent, sur un texte d'exception, par sa simplicité, sa lucidité, sa vitalité. Un texte sur la mort. Un texte sur la vie. Présence des arbres, des vergers, ouverture finale sur Hölderlin, dont Jaccottet est l'un des grands traducteurs. Le poète chemine vers le terme, et jamais sa présence au monde n'est aussi intense.
 
Le coup de génie du Toûno 2022, c'est de faire suivre cette Clarté Notre-Dame des derniers quatuors de Beethoven, puis Schubert. L'un et l'autre sortis à Vienne en 1826, à quelques jours d'intervalle. Beethoven meurt l'année suivante, à 57 ans. Schubert, deux ans plus tard, à 31 ans.
 
Sur les derniers quatuors de Beethoven, tout a été dit : nous sommes là dans l'un des surgissements les plus géniaux de l'Histoire de la musique. Cent ans d'avance sur l'époque, on croirait entendre du Bartók. Là, c'était le tout dernier, Quatuor opus 135 en Fa Majeur, avec un troisième mouvement, Lento assai, cantante e tranquillo, qui vous saisit l'âme et le corps, vous crispe et vous libère, vous essouffle et vous emplit, c'est physique, c'est viscéral, c'est du sang qui se fige et repart, poussé plus loin. C'est un corps qui se bat pour la vie.
 
Je connais ces ultimes quatuors de Beethoven depuis l'adolescence, leur rôle de rupture et de prémonition dans l'Histoire de la musique, mais là, ce soir à Saint-Luc, le Quatuor Terpsycordes nous en a offert une interprétation inoubliable. Le public était saisi, transi. Girolamo Bottiglieri, violon. Raya Raytcheva, violon. Caroline Cohen-Adad, alto. Florestan Darbellay, violoncelle.
 
Et puis, il y a cet homme de 29 ans, Franz Schubert, qui, deux ans avant sa mort, nous livre ce fracas testamentaire, son Quatuor D 887 en Sol Majeur. Là aussi, c'est physique. La vie qui bat. La vie qui va.
 
Jaccottet, Beethoven, Schubert : quand la vie convoque la mort, et lui dit : "Tu auras peut-être le dernier mot. Mais nous, nous aurons eu les derniers soupirs, les dernières notes".
 
 
Pascal Décaillet

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