Commentaire publié dans GHI - Mercredi 23.03.22
La langue française est belle et fluide, elle a le jaillissement d’une eau de glacier, sa clarté cristalline est source de vie. La langue allemande est plus complexe, avec ses racines qui s’entrelacent, des mots inattendus au détour de la phrase, le verbe qui se fait attendre, le risque surexcitant de se perdre dans une forêt. Le même allemand, pourtant, touche au sublime, dans la musique ou la poésie : Friedrich Hölderlin, Paul Celan. Le grec ancien nous fascine par sa richesse, la subtilité de ses formes verbales, sa souplesse dialectale. Et l’italien, ah l’italien, où tout est tonalité, nuances, saveur. Une langue, ça n’est pas rien. Avec elle, nous entretenons un rapport matriciel qui va chercher beaucoup plus loin, dans la mémoire affective, que le simple statut de porteur de sens. Tout ce qui touche à la langue est passionnel, ça vient du ventre, de la gorge, ça surgit du souffle, ça porte le rythme, l’émotion : on ne résoudra pas les questions de langue par de savantes formules rationnelles.
Face à l’écriture inclusive, impossible de demeurer calme. Pourquoi le faudrait-il, d’ailleurs ? Pourquoi faudrait-il laisser cette querelle aux pisse-froid et aux docteurs de la démonstration ? Cette graphie de l’illisible, c’est avec les viscères, avec la bile noire de notre colère, qu’il faut la condamner. Parce que c’est de nos entrailles que vient la langue. Avec l’air surgi du ventre, puis transformé par l’intérieur de la mâchoire, les labiales, les sifflantes, les palatales, avec toute cette machinerie parfaitement physique, se créent les syllabes, puis les mots, les phrases, et parfois les vers, les hexamètres, et parfois l’Iliade, poème chanté bien avant d’avoir été transcrit par l’écriture. Oui, la parole précède l’écrit, l’homme et la femme sont des êtres de chant et de musique, en amont d’être des juristes ou des philosophes. Cet aspect primal de la langue, chacun de nous le sent, au fond de soi. L’enfant commence par la syllabe, il tricote ses sons à lui, bien avant d’accéder au langage de raison.
Le Grand Conseil genevois a dit non, il y a quelques jours, à l’écriture inclusive dans les textes de l’administration. Il a réussi ce renversement, après des années de déculottée de l’officialité face à la mode d’un moment. Il a voté cela, et jamais je n’ai eu autant envie de remercier une majorité de députés. Bien sûr, cela ne concerne que l’écriture de l’Etat, une affaire interne au monde des scribes. Mais le signal est donné. Il est fort. Il est courageux. Il va contre le vent. Il doit, à tout prix, constituer un coup d’arrêt à cette pollution programmée du verbe et du sens. Ce précédent doit maintenant donner à d’autres, partout où il le faudra, l’ardeur d’aller dans le même sens. Jeter au brasier les barres obliques et les points médians. Rendre à la langue française sa clarté, sa simplicité, et au fond sa lisibilité. Allons, réjouissons-nous. Et surtout, trouvons dans nos tréfonds le courage de pulvériser d’autres modes. La guerre culturelle ne fait que commencer.
Pascal Décaillet