Sur le vif - Dimanche 13.03.22 - 14.42h
C'est en fonction de leurs besoins vitaux et énergétiques, depuis les campagnes de Frédéric II de Prusse (1740-1786) sur la Silésie et la Poméranie, riches en bassins miniers, que les Allemands définissent leur tropisme vers l'Est ou vers l'Ouest. Par la guerre ou par les marchés, la vitalité germanique jette des ponts. Elle ne s'encombre d'aucune idéologie. Tout au plus cette dernière sert-elle de prétexte à des impératifs profondément économiques et nutritifs.
Dans le nouveau front qui s'est ouvert aux confins orientaux de l'Europe, l'acteur Allemagne n'est pas encore entré en scène. Pour l'heure, il joue la partition européenne. Mais sous le vernis de l'Europe, il y a la permanence des nations. Lorsqu'il faudra vraiment choisir, autrement que par de grandes envolées lyriques nourries d'une théologie du Bien tellement rassurante pour blanchir les consciences, l'Allemagne optera pour ses intérêts vitaux.
La question du gaz sera centrale. L'Allemagne a impérativement besoin de demeurer liée aux gazoducs terrestres européens. Elle sait que les Américains, implantés sur le sol de notre continent depuis 1943 (Sicile), n'y sont pas pour l'éternité. Elle sait le rôle immense que la Chine pourrait jouer dans une redistribution économique des cartes. En un mot, elle a besoin de conserver le lien énergétique avec la Russie.
Cet impératif économique conditionnera les engagements politiques de la quatrième puissance mondiale. Pour avoir profondément étudié l'Ostpolitik de Willy Brandt, conçue en pleine guerre froide lorsqu'il était encore Vice-Chancelier et Ministre des Affaires étrangères de Kurt Georg Kiesinger (1966-1969), mais mise en oeuvre sous sa propre Chancellerie (1969-1974), je puis vous dire que cette dimension vitale de l'économie est abordée, dès les années 60, par les penseurs SPD de ce nouveau tropisme.
Mais à l'époque, l'Europe était coupée en deux, Brandt en fut réduit à des gestes symboliques (génuflexion de Varsovie, décembre 1970, immense moment de l'Histoire allemande). Aujourd'hui, les marchés de l'Est sont ouverts. L'Allemagne s'y est engouffrée depuis trente ans. Elle n'a strictement aucun intérêt à une déstabilisation stratégique de l'Europe orientale. Elle s'entendra pour cela avec la Russie. Les canaux de contact existent. L'Allemagne les maintiendra. C'est un besoin vital pour sa survie comme première puissance économique en Europe.
Pour l'heure, personne ne parle de l'Allemagne. C'est pourtant elle, le géant européen. Elle, la puissance économique. Et elle, demain, une fois investis les cent milliards d'euros récemment votés pour la défense nationale, la future première puissance stratégique sur notre continent. Ca fait beaucoup, pour un acteur destiné à demeurer muet, dans les coulisses.
Pascal Décaillet