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Il y a vingt ans, les bombes sur Belgrade - Colère et mémoire

 

Sur le vif - Dimanche 24.03.19 - 14.11h

 

Pas de guerre en Europe, depuis 1945 ? Je suppose que vous plaisantez : il y a, jour pour jour, vingt ans, les avions de l'OTAN - entendez les affidés des Américains - bombardaient la ville de Belgrade, capitale de la Yougoslavie pendant toute l'existence de ce pays, capitale historique d'une Serbie qui avait héroïquement résisté aux nazis entre 1941 et 1945, ce qu'on ne peut pas exactement dire de toutes les Républiques de l'ex-Yougoslavie.

 

Il y a vingt ans, les Américains, avec l'appui d'une Allemagne visant dans le conflit yougoslave ses propres objectifs de résurrection nationale et d'emprise renouvelée dans les Balkans, tout cela au milieu d'une absolue inexistence de "l'Union européenne", bombardaient, à la bombe lourde, comme aux grandes heures des années 1943-1945 dans le ciel allemand, la capitale d'un État souverain d'Europe, le mettant ainsi au ban des nations.

 

Ils bombardaient, et l'écrasante majorité des commentateurs, des éditorialistes, en Europe, en Suisse romande, applaudissaient. Une fois de plus, nos belles âmes et nos blanches consciences, sous couvert de défendre les "droits de l'homme" dans les Balkans, au nom d'une conception bien unilatérale de ces droits, se plaçaient du côté du plus fort. Face aux bombes américaines, les premières en Europe depuis 1945, que pouvait faire la Serbie ?

 

La vérité, dès la chute du Mur (1989), et dès le début du démembrement de l'ex-Yougoslavie (Noël 1990), c'est que les Américains, les Britanniques (reprenant ainsi un vieux rêve, jamais réalisé, de Churchill), et avec eux l'Allemagne de Kohl, rêvant de réinventer sa puissance dans la Mitteleuropa, avaient leur plan d'action pour les Balkans. Affaiblir au maximum l'influence slave, donc serbe, favoriser les nationalismes hostiles aux Serbes, pulvériser l'unité nationale yougoslave, la remplacer par l'influence économique occidentale en Slovénie et Croatie, la présence stratégique dans les parties albanophones, bref accomplir le vieux dessein d'implantation dans les Balkans.

 

Pour cela, il fallait diaboliser un camp. Ce fut celui des Serbes. Avec l'appui d'une "justice internationale" complice des puissances occidentales, on focalisa les attentions sur les seuls crimes de guerre des Serbes (il n'est pas question ici de les nier), on ferma les yeux sur ceux des autres. Au Kosovo, on laissa se développer le rêve d'une Grande Albanie, unissant les forces de l'Albanie historique, celles des Albanais du Kosovo, celles des Albanais de Macédoine. Avec l'appui de l'Occident et de nos belles consciences, on décréta que le nationalisme albanais avait droit à l'existence, et que le nationalisme serbe, lui, ne l'avait pas. Clairement, on favorisa un camp, contre un autre.

 

Il y a juste vingt ans, j'étais allé réaliser, en allemand, une grande interview de l'ancien Chancelier Helmut Schmidt, au sommet de la tour de "Die Zeit", qui domine le port de Hambourg. Un port totalement rasé par le terrible bombardement britannique de l'été 1943. J'avais interrogé le successeur de Willy Brandt sur les bombardements qui venaient de se produire à Belgrade. Il les avait vivement condamnés, rejetant ainsi toute la politique atlantiste de son successeur à lui, Helmut Kohl, et celle de Schröder.

 

Il y a juste vingt ans, des bombes s'abattaient sur une capitale d'Europe. Non pour servir des intérêts européens, mais ceux d'une grande puissance d'Outre-Atlantique, avec la complicité d'une Allemagne en pleine renaissance politique, elle qui n'avait pas exactement laissé, dans les Balkans, entre 1941 et 1945, le plus reluisant des souvenirs. Et c'est sans doute là l'euphémisme le plus édulcorant dont on puisse user. Les plus anciennes générations serbes saisiront, sans qu'il soit nécessaire de leur faire le moindre dessin.

 

Pascal Décaillet

 

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