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A qui profite l'affaire Nef?

Commentaire publié dans le Giornale del Popolo du jeudi 24.07.08

Ainsi, le chef de l’armée suisse serait un affreux monsieur, une sorte d’Ogre domestique, à faire frémir les chaumières. Personne, jusqu’ici, ne s’en serait aperçu. Et, tout à coup, miracle en pleine torpeur de l’été, on en aurait reçu, comme une météorite tombée du ciel, la révélation. Quelle belle histoire, non, simple comme un conte de fées, avec un méchant, un gros naïf, sept nains grugés, et le pays en émoi. Voilà comment se construit un feuilleton d’été, avec épisodes, rebondissements, un Dallas pour presse boulevardière, et sujets de discussions goguenardes assurées sur toutes les terrasses du pays.

Il se pourrait bien que la réalité des choses soit un peu moins lustrée, un peu plus prosaïque. La première question qu’un esprit un peu critique doit se poser, face à la soudaine émergence d’une telle affaire, est : « A qui profite le crime ? ». Autrement dit, la vraie personne visée n’étant évidemment pas le fusible Nef, mais bel et bien son patron : « Qui a intérêt à une démission, dans les semaines ou les mois qui viennent, à coup sûr avant l’automne 2011, de Samuel Schmid ? ». C’est la question politique qui compte, la vie privée de Monsieur Nef n’étant guère d’importance nationale.

La première personne, évidemment, à qui on pense, est Christoph Blocher, le grand méchant loup en personne. Et, à travers ses longues dents, l’aile orthodoxe de l’UDC, celle qui n’a pas « trahi », celle qui luttera jusqu’au bout pour l’indépendance du pays, celle qui a gagné les élections du 21 octobre 2007. Celle, surtout, qui a été poignardée le 12 décembre, par un trio hétéroclite, dont un certain Ueli Leuenberger, devenu entre-temps président des Verts suisses, l’homme (est-ce un hasard ?) qu’on entend le plus, ces jours, exiger les têtes. Au point que chacune de ses innombrables apparitions sur les ondes donne l’impression qu’on va entendre Fouquier-Tinville, le redoutable procureur du Tribunal révolutionnaire, sous la Terreur.

Mais Blocher et sa garde noire (Christoph Mörgeli, notamment) croient-ils sérieusement à un retour aussi rapide aux affaires, après la gifle du 12 décembre ? La réponse est évidemment non. Pour mille raisons, ces hommes-là ont intérêt à attendre. Le pays, à part la situation très difficile de sa première banque, est loin d’être en crise, l’été est heureux et tranquille, nul mouvement de foule ne va venir exiger, pour l’heure, un retour de balancier. Cela, Christoph Blocher doit le savoir, ou alors c’est sa lucidité qui commence à être en cause.

Du côté bourgeois, en revanche, un parti pourrait être tenté de jouer sa carte : le PDC. Reconquérir en douceur, à la faveur d’une élection partielle, le siège « volé » à Ruth Metzler le 10 décembre 2003, doit, à coup sûr, constituer une sacrée tentation pour ce parti qui, depuis, sous l’impulsion de Doris Leuthard, puis de Christophe Darbellay, s’est refait une santé. À tenter le coup, au fond, il n’aurait pas grand-chose à perdre : les radicaux ont déjà deux conseillers fédéraux, et nul ne sait exactement, aujourd’hui, dans quel no man’s land sont Eveline Widmer-Schlumpf et Samuel Schmid. Bref, il y a, à coup sûr, une « fenêtre d’opportunité ». Christophe Darbellay (jusqu’ici modéré dans l’affaire Schmid/Nef) tentera-t-il, un de ces jours, un démarrage ?

Restent les Verts, et les très voraces ambitions de leur président, Ueli Leuenberger, qui multiplie les interventions, sur toutes les ondes, pour exiger le départ de tout le monde, une réforme totale de l’armée (sujet qui ne l’a guère tétanisé jusqu’à maintenant), et, en filigrane, l’entrée de l’un des leurs (lui-même, si possible) au Conseil fédéral. Un petit jeu dont nul n’est dupe, si ce n’est quelques naïfs : la fameuse « percée » des Verts, au-delà de 10%, tant promise, ne s’est pas produite le 21 octobre dernier, même si le parti a progressé. Il est peu probable qu’ils puissent placer un conseiller fédéral avant 2011.

Dès lors, à part l’hypothèse PDC, on conclura que, pour toutes sortes de raisons, une majorité de la classe politique suisse n’a pas vraiment intérêt à un départ précipité de Samuel Schmid. Le salut par l’immobilité, l’équilibre des forces par l’inertie, c’est, parfois, l’une des lois de la politique suisse.

Pascal Décaillet


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