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Là-bas, la Méditerranée


 

En filigrane d’un grand projet diplomatique – du moins on aimerait y croire – la lecture du tout dernier Lacouture, l’un des plus beaux.

 

Sur le vif – Dimanche 13.07.08 – 19.25h

 

On peut penser ce qu’on veut de Nicolas Sarkozy, des signaux de sa politique étrangère depuis quatorze mois, il n’en reste pas moins que l’Union pour la Méditerranée, lancée aujourd’hui à Paris par les dirigeants de plus de quarante pays, peut être considérée, en tout cas dans son principe politique, comme une noble, une grande idée. Que l’Elysée, 46 ans, presque jour pour jour, après l’entrée en vigueur des Accords d’Evian et la rentrée en Métropole – dans le désarroi qu’on sait – de centaines de milliers de Français d’Algérie, prenne l’initiative de tourner à nouveau son regard vers le Sud, il y a là un signal qui pourrait déboucher sur quelque chose de fort. Souvent, dans son Histoire, lorsque l’Europe est dans l’impasse, la France s’emploie à réinventer sa dimension méditerranéenne. En 1962, c’est exactement le contraire qui s’est produit : au moment où elle doit tourner la page de quatre siècles d’Histoire coloniale, elle se redécouvre rhénane, et scelle avec l’Allemagne, dans un esprit de réconciliation, ce qui sera le pilier de la construction européenne.

 

Une coïncidence veut que la grande initiative diplomatique lancée aujourd’hui (puisse-t-elle embraser les cœurs, et non les simples chancelleries) soit lancée au moment où j’ai le bonheur de savourer chaque ligne de l’éblouissante « Algérie algérienne », que vient de publier Jean Lacouture, 87 ans, chez Gallimard. Un essai d’une incroyable acuité sur les 132 ans de présence française dans ce pays, sur les grands penseurs arabes ou kabyles de l’idée d’indépendance, sur la puissance des liens, fussent-ils d’amour ou de haine, entre l’Algérie et la France. De l’expédition de 1830, dans les derniers jours du règne de Charles X, jusqu’au départ des colons, en 1962, dans le fracas des attentats de l’OAS, il fallait ce livre, il fallait la connaissance du monde arabe par Lacouture (bien au-delà de l’Algérie, et à commencer par celles de l’Egypte, du Maroc, de la Tunisie et du Levant), pour poser quelques jalons de lumière dans une très grande complexité.

 

Où l’on s’aperçoit que, sur ces 132 ans, Paris n’a jamais eu, au fond, de politique algérienne cohérente. Dès les premières années, au moment où Bugeaud combat le grand Abd el-Kader, il n’est jamais clairement tranché s’il faut se contenter de quelques « comptoirs » (Oran, Alger, Mostaganem), ou s’implanter pour longtemps dans l’immensité de l’arrière-pays. Puis c’est Napoléon III qui rêve d’un « royaume arabe », puis la République qui envoie dans la Mitidja les Alsaciens venant chercher quelque revanche de vivre après la défaite de 1870. Ensuite encore, le temps de la gauche colonisatrice, avec Jules Ferry, combattue par Clemenceau qui n’y voit qu’un dérivatif au seul combat qui vaille : la revanche, la reconquête de l’Alsace-Lorraine.

 

Ce livre, c’est encore le sang des Musulmans dans les combats de la Grande Guerre, et encore en 1940, sans que jamais la moindre contrepartie, en termes de citoyenneté, ne leur soit octroyée. Ce Lacouture, enfin, c’est le récit de la lente germination de l’idée d’indépendance (Messali Hadj, Ferhat Abbas, et tant d’autres, qui d’ailleurs ne cessent de se combattre, on le verra dès l’Indépendance), et le rappel de ces « événements », du 1er novembre 1954 jusqu’à juillet 1962, qu’on appelle, un peu communément, « la Guerre d’Algérie ». N’a-t-elle pas, d’ailleurs, éclaté dès le 8 mai 1945, dans les terribles événements de Sétif, où le sang, la mort et l’horreur ont envahi le Constantinois ?

 

Revenons à Sarkozy. Son projet, bien sûr, va immensément plus loin que la seule Algérie, ni le seul Maghreb, ni même la seule Afrique du Nord : la star (diversement goûtée) de ce dimanche n’a-t-elle pas été le Président syrien Bachar al-Assad ? Déjà, mille reproches peuvent légitimement affleurer : gigantisme (43 pays, 750 millions d’âmes), néo-colonialisme, solo français qui fâche le grand voisin allemand, et qui aurait même pu froisser la diplomatie européenne, si cette dernière avait le moindre embryon d’existence. Bien sûr, il y a quelques chose de trop grand, d’exagéré, malgré tous les livres de Braudel (et autant de chefs-d’œuvre) à vouloir absolument définir un lien entre des communautés humaines si différentes. Déjà, le Mare Nostrum des empereurs romains du grand siècle apparaissait comme un mirage, camouflant mille fissures. Bien sûr, tout cela est, tous ces leurres menacent, et les détracteurs du projet ne manqueront pas de le relever.

 

Mais quoi ! Voilà un Président français, également Président (pour six mois) de l’Union européenne, qui, pour la première fois depuis pas mal de temps dans l’Histoire récente de son pays, prend une grande initiative, se risque à un grand dessein. Peut-être échouera-t-il. Mais il aura, pour le moins, proposé un horizon. Cela, qu’on aime ou non Nicolas Sarkozy, mérite d’être salué. Et la Méditerranée, tellement, mérite nos attentions. Alors, à supposer que vous ne sachiez pas par quoi commencer, permettez-moi, à part Braudel bien sûr, de vous conseiller Lacouture. Biographe de Nasser. Et auteur de cette « Algérie algérienne », dont l’intelligence éblouira votre été. Même les soirs de pluie.

 

Pascal Décaillet

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