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La grande erreur de Fulvio Pelli


Ou : le Latin de glace et le flandrin de feu

 

Il faudrait sans doute remonter aux Vies parallèles de Plutarque pour aller exhumer de la poussière des siècles deux personnalités aussi dissemblables que Fulvio Pelli et Christophe Darbellay. Le cérébral et l’instinctif. Le taciturne et l’expansif. Le contenu et l’impulsif. La célébration de l’immobilité, et le mouvement perpétuel. Deux Latins, certes, l’un et l’autre fils de la Louve : l’un jouit par la lente infiltration de l’analyse ; l’autre, moins imperméable, par la splendeur des résurgences, le sens du courant n’étant pas l’essentiel.

 

De ce jeu de glace et de feu, ce conte d’Islande, nous pourrions tout à loisir nous délecter, allant quérir chaque dimanche, dans la presse alémanique, quelque nouveau geyser. Pour le spectacle, un pur bonheur. Pour les socialistes et l’UDC, qui s’en frottent les mains et s’en pourlèchent les babines, une aubaine, toujours recommencée. A ce rythme-là, ils l’auront bientôt, leur Suisse bipolaire, tout ce qui a fait ce pays depuis plus d’un siècle n’offrant plus, à l’extérieur, que le spectacle de ses divisions.

 

Depuis des années, il m’apparaît que les grands courants de la droite suisse (la démocratie chrétienne, le radicalisme,  le libéralisme, et l’aile non-xénophobe, ouverte aux échanges, de l’UDC) doivent, sans trop tarder, dans l’honneur, le respect mutuel, se fédérer sous une même bannière. Plus de deux Suisses sur trois, le 21 octobre 2007, ont voté pour des partis qu’on appellera « de droite », ou « conservateurs », comme vous voudrez. Et moins d’un Suisse sur cinq, ce qui est (à la baisse) un record en Europe, a voté pour le parti socialiste. Il faut tout de même croire que la défense de l’individu, du travail, du mérite, de la prise de risque personnelle, recueillent plus d’adhésion, dans ce pays, que le tout au collectif, ou l’Etat-Providence. Car pour redistribuer (et il le faut, pour les plus faibles), il convient d’abord d’avoir beaucoup travaillé pour parvenir à créer des richesses. Ces valeurs-là, en Suisse, sont majoritaires. Mais ceux qui, au fond tous ensemble, les défendent, passent leur temps à se chamailler.

 

Le dernier incident en date (week-end dernier) est à mettre, clairement, sur le compte de Fulvio Pelli. La manière dont le président du parti radical suisse a rejeté, d’un soufflet, les raisonnables propositions de collaboration de Christophe Darbellay, constituent une erreur politique de premier plan. Que le style Darbellay, ce flandrin de feu, exaspère au plus haut point l’esthète lecteur des « Fiancés », le chef-d’œuvre de Manzoni, on peut certes le comprendre. Un homme qui se lève à quatre heures du matin, s’étant couché trois heures plus tôt, court les crêtes des sommets et les moraines des glaciers, séduit, se brouille, se réconcilie, tente, perd, gagne, fait jouer mille cousins, dévore la vie, ce spécimen d’humanité-là doit, à coup sûr, générer quelque incompréhension chez le très retenu avocat du sud des Alpes, dont le dernier grand moment d’enthousiasme doit dater des années soixante, ou de son extatique découverte du Code des Obligations. Qu’importe, d’ailleurs, il faut de tout pour faire un monde. Mais il est préférable, en politique, d’éviter les erreurs irrattrapables.

 

Or là, Fulvio Pelli en a commis une. Et de taille. Tout le monde sait très bien que sur le fond, au plan fédéral, radicaux-libéraux et démocrates-chrétiens militent pour le même modèle de société. Tout le monde, aussi, sait que les vieilles étiquettes héritées des luttes confessionnelles du dix-neuvième siècle, du Sonderbund, du Kulturkampf, n’ont plus aucun sens, aujourd’hui, l’une contre l’autre. Leur champ référentiel, simplement, ne joue plus pour les gens d’aujourd’hui. J’adore, infiniment, lire les livres d’Olivier Meuwly sur les grandes figures du radicalisme vaudois, ou toute l’Histoire de la réaction catholique au progrès, de Léon XIII et de sa Doctrine sociale, je pourrais vous en entretenir pendant des heures. Mais nous sommes en 2008. La Suisse a changé. Cet espace politique-là a besoin d’autre chose, de plus grand, de plus clair, de plus rassembleur, pour répondre à ses besoins.

 

Après une fin d’année 2007, disons, un peu difficile (je crois avoir été le premier à le souligner, et je maintiens), puis un combat courageusement mené, mais perdu, en Valais, Christophe Darbellay a profondément intégré, maintenant, cette dimension de recomposition de la droite suisse. On dira que c’est par opportunisme, par ambition, pour en avoir le leadership, chacun pensera ce qu’il voudra. Mais il a, lui, tendu la main. Et Fulvio Pelli, sèchement (par crainte d’une partie de sa base ?), l’a refusée. Il ne s’agissait pourtant que d’un ou deux domaines (on pourrait imaginer l’Ecole) où des signes de convergence auraient pu être donnés. C’est infiniment dommage, et c’est pire encore : les derniers soubresauts de l’UDC, la santé encore fort précaire des socialistes, tout cela constituait – constitue encore, mais jusqu’à quand ? – une constellation favorable pour une offensive de la Suisse ouverte et libérale, celle qui ne se veut ni assistée ni nationaliste. C’est-à-dire, clairement, la majorité de ce pays.

 

Pascal Décaillet

 

 


 

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