Édito Lausanne FM – Jeudi 10.01.08 – 07.50h
Moderne et décomplexé. C’est l’image que veut donner de lui Nicolas Sarkozy. Il arpente, en jeans, les sites touristiques d’Egypte, avec à son bras l’une des plus belles femmes de France. Il appelle les gens par leur prénom. Il s’exprime sur sa vie privée, la montre, la met en scène. Il voudrait au fond, comme l’Orléans Louis-Philippe, être davantage roi des Français que roi de France, le « roi bourgeois », comme on avait appelé ce monarque, entre 1830 et 1848.
La question est : « Les Français veulent-ils d’un Président un jeans ? ». Je n’en suis pas sûr du tout. L’image du chef de l’Etat, chez nos voisins, vient du fond des âges. Quarante rois, puis la République. Puis, avec de Gaulle, la République qui rétablit la monarchie. Puis, avec François Mitterrand, qui avait pourtant tant combattu ce style, dans son pamphlet « Le Coup d’Etat permanent », en 1964, la quintessence, dès 1981, du style royal à l’Elysée : figure marmoréenne, immobilité de sphinx, étanchéité des réseaux de relation, puissance de la Maison personnelle, bref le Roi.
Mais pas n’importe quel roi. Les Français aiment les souverains, mais pas les signes extérieurs de richesse. Ce qu’ils ont tant aimé, en de Gaulle, c’était son côté monastique : le moine-soldat, la rigueur personnelle, l’homme qui ne s’est pas enrichi d’un seul centime pendant son règne. L’homme qui pouvait être orgueuilleux, comme Louvois dans le Grand Siècle, parce qu’en contrepartie de cet orgueil, il assumait la fonction sacrificielle de tout donner, toute sa personne, à son pays. Auquel il vouait une passion intransigeante, mystique, d’un autre âge.
L’homme qui, le premier, a voulu changer cela, c’est Giscard. Mal lui en a pris. Il était jeune, brillant, il est d’ailleurs loin d’avoir eu un mauvais septennat, mais il a totalement raté son image présidentielle. Il a voulu se mêler au peuple, au bon peuple, il a voulu « décomplexer » la fonction. C’était peut-être louable. Mais ça n’était pas, dans un pays chargé d’une Histoire aussi incomparable, ce que les Français voulaient. Mitterrand, avec génie, a corrigé cette dérive.
Nicolas Sarkozy est un homme intelligent. Il devrait comprendre que l’image du play-boy est aux antipodes d’une certaine conception profonde, nourrie de tant de références, du service suprême de l’Etat, en France. Il serait tout de même dommage que cet homme compétent, dynamique, inventif de nécessaires réformes, finisse par se griller sur une simple, une élémentaire question d’image.
Il rêve, comme un enfant, la modernité. Mais sous-estime les vertus – paradoxales, délicieuses et sucrées comme un zeste – de l’archaïsme.