Chronique parue dans la Tribune de Genève du 08.11.07
Il y aura 75 ans demain, l’armée suisse, à Plainpalais, tirait sur la foule. Le 9 novembre, cette frémissante date, fille de la tragédie et du destin, qui fut à la fois Brumaire, Nuit de Cristal et chute du Mur, aura donc aussi, et au fer rouge, marqué la mémoire genevoise. Le revoilà, ce temps des passions, que nous fait si bien revivre Claude Torracinta, dans son documentaire, tout récemment rediffusé.
13 morts, 65 blessés. En comparaison internationale, surtout pour l’époque, l’événement reste à vrai dire bien modeste. Heureux pays, heureuse ville, n’en finissant plus de commémorer ce qui hélas, chez nos voisins, relèverait du banal : fusillés du Mont-Valérien, déportés de Drancy, martyrs italiens des Fosses ardéatines, millions d’Allemands morts au combat. Cela, juste, pour rappel des dimensions.
Alors, pourquoi la plaie, la cicatrice ? D’autres armées, si souvent, ont tiré sur leur propre peuple, c’est monnaie courante, à commencer par Clemenceau qui fait donner la troupe contre les Vignerons du Midi ; et tant de grèves, dans tant de charbonnages, ou de houillères, par les fusils matées.
Mais c’était la Suisse, et c’était Genève. En tirant, c’est le corps social qu’on a lacéré, ce qui nous unit et nous rassemble, l’essence même de la Suisse, sans laquelle ce pays ne serait rien. C’est cela qui fut grave. Car sans le lien, sans la solidarité, notre pays est mort. Et c’est cette grande peur-là, dans la mémoire du 9 novembre 1932, qui, à chaque fois, s’empare de nous, et nous saisit.
Pascal Décaillet