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Liberté - Page 58

  • CEDH : colère et nausée

     

     Commentaire publié dans GHI  - Mercredi 17.04.24

     

    Aucun mot, aucune formule ne sont assez puissants pour qualifier notre colère. Celle d’un nombre écrasant de nos compatriotes face à la décision de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme), qui « condamne la Suisse pour inaction climatique ». Grief surréaliste, inexistant dans l’arsenal législatif de cette même Cour, grief de mode et de doxa Vertes en perte de vitesse dans toute l’Europe. Et même en chute, en Suisse, depuis les élections fédérales d’octobre 2023. Décision sans légitimité, externe à nos lois nationales. Le pire : des Suisses ont cru bon, en sautant l’échelon de notre ordre juridique, d’aller « dénoncer » notre pays, cette communauté nationale qui est nôtre et que nous aimons tant. Et le pire du pire, l’irréparable : à l’énoncé de cet improbable aréopage de juges étrangers, ils ont jubilé. Jubilé contre leur propre pays ! Contre la Suisse.

     

    Et le fond de l’abîme : la plupart des médias ont laissé libre cours à cette jubilation, donnant la parole sans la moindre distance critique à ces Suisses qui ont attaqué leur propre pays à l’extérieur, alors qu’ils ont, à l’intérieur de notre système démocratique unique au monde, toute latitude, initiative, référendum, projets de loi, pour faire valoir leurs idées. Dans notre démocratie directe, que tous alentour nous envient, chacun peut s’exprimer, on s’explique, on s’engueule, entre nous. Mais on ne va pas, comme un pleutre dans la cour d’école, saisir la manche d’une juridiction externe, au demeurant non-compétente sur la question. Ce comportement-là porte un nom.

     

    Nous sommes un Etat souverain, nous avons l’inflexible volonté de le rester. Les lois ultimes sont les lois suisses. Parce qu’elles sont celles du peuple, ou de ses élus. Notre Cercle de Craie, pour reprendre le si beau mot de Bertolt Brecht, notre horizon d’attente, c’est l’arsenal juridique suisse. S’il faut légiférer sur le climat, cela doit donner naissance à des lois suisses, sans recours supérieur. Notre démocratie n’est pas partie d’un tout. Elle est corps cohérent, autonome. Notre communauté citoyenne est souveraine. La Suisse ne fait pas partie d’un Saint-Empire, où telle décision du pays pourrait encore être cassée en instance supérieure, celle de l’Empereur, ou des Princes Électeurs. La Suisse est un pays indépendant, fier de l’être. Elle peut décider ce qu’elle veut sur le climat, c’est son ordre à elle qui prime.

     

    Le Conseil de l’Europe n’a aucune espèce d’intérêt. Pas plus, d’ailleurs, que de savoir si Alain Berset en deviendra le secrétaire général, cadet des soucis de nos compatriotes, tout le monde s’en fout. Notre affaire, notre passion, l’affection de nos âmes, c’est à la Suisse qu’elles vont. A notre communauté nationale. A sa cohésion sociale. Et aussi, en effet, à son respect de l’environnement, nous n’avons jamais dit le contraire. Mais le débat doit se dérouler entre nous. Aller pleurnicher à l’extérieur, puis jouir au moment de cette condamnation-fantoche, non, décidément, aucun mot n’est assez fort pour qualifier ce comportement. Ou alors deux, pour la route : colère et nausée.

     

    Pascal Décaillet

  • La paix, pas la guerre !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 27.03.24

     

    En réfléchissant un peu, cette semaine, je me suis rendu compte d’une chose : depuis ma jeunesse, j’ai toujours été opposé à toutes les guerres. Du moins, toutes celles que « l’Occident » (terme que je ne n’utilise jamais) a intentées, sous prétextes manichéens, à des ennemis dûment forgés pour être haïs par l’opinion publique. J’étais contre la guerre du Vietnam, estimant que les Américains n’avaient rien à faire en Indochine. Contre les bombardements de la Serbie en 1999. Violemment contre l’intervention américaine contre l’Irak en 2003, je l’avais très clairement écrit, au printemps de cette année-là, dans un article intitulé « Ma colère », dans la Revue jésuite Choisir. Et aujourd’hui, je suis totalement opposé à ces Croisades bellicistes lancées par l’Elysée, et relayées par les très dociles soldats de la Macronie, sur les chaînes privées parisiennes.

     

    J’ajoute une chose : citoyen suisse, ayant accompli près de 500 jours d’armée, je suis tout, sauf un rêveur pacifiste. Simplement, je prône la diplomatie, les solutions politiques, pour préserver au maximum la paix. Quand on entend, sur les plateaux parisiens, tous ces frêles jouvenceaux, ne connaissant rien à la chose militaire, se surexciter entre eux, rivaliser dans la rhétorique de l’intervention, réclamant l’envoi de troupes terrestres françaises, voire l’usage de la menace nucléaire, on prend la mesure de l’insoutenable légèreté qui les anime. Sans compter cette misérable armada de généraux ou d’amiraux en retraite, défilant dans les studios de la Macronie pour affirmer l’écrasante supériorité de l’armée française, insulter et mépriser dans la foulée l’armée allemande, « sur laquelle on ne peut pas compter », on a l’impression d’entendre la plus stupide des chansons de la propagande française pendant la Drôle de Guerre, entre septembre 39 et mai 40, « Nous irons pendre notre linge sur la Ligne Siegfried ». La suite, on la connaît.

     

    Je suis citoyen suisse. J’attends de mon pays qu’il observe, dans l’affaire ukrainienne, la plus parfaite des neutralités. Qu’il demeure en lien avec toutes les parties en conflit, n’émette pas de jugement moral, se mette à disposition pour des pourparlers de paix, comme il l’a si bien fait dans les dernières années de la Guerre d’Algérie, permettant de préparer, dans la discrétion la plus totale, les Accords d’Évian de 1962. Bref, j’attends exactement le contraire de la politique de notre ministre des Affaires étrangères, M. Cassis, qui s’est empressé, dès les premiers jours de la guerre, de prendre parti, moraliser, sanctionner. Tout cela, pour ne pas déplaire à l’atlantisme ambiant, entendez l’inféodation de l’Europe aux Américains. Notre vaillant conseiller fédéral nous a mis à dos la Russie, puissance majeure, et qui le restera à travers les siècles. Il a ruiné les espoirs suisses de devenir les hôtes d’une paix en préparation. Il a voulu faire de la morale, là où il fallait être politique. La Suisse mérite mieux. Elle doit allumer les lumières de la paix. Et non jeter de l’huile sur le feu.

     

    Pascal Décaillet

  • Astor Piazzolla : trouvaille et salut

     
    Sur le vif - Mardi 26.03.24 - 13.43h
     
     
    Me trottent dans la mémoire, depuis hier soir, ces sublimes images de Buenos-Aires ou Mar del Plata, noir-blanc, films d'amateur, fragments surgis de la vie d'un génie de la musique nommé Astor Piazzolla (1921-1992).
     
    Un film incroyable, sur Mezzo, en espagnol non-traduit, en argentin parlé à toute vitesse, et pourtant le profane, non-hispanophone, saisit tout, d'un coup. L'image. Le regard. Et bien sûr la puissance de la musique.
     
    Une vie complexe, tortueuse. Entièrement dévouée à la musique. D'où sort le tango ? Jusqu'où nous emmène-t-il ? Le fuir, s'il est trop classique. Le faire évoluer, par une révolution musicale permanente, pour le régénérer. Ne jamais se satisfaire de l'acquis. La vie intime, profonde, de Piazzolla, semble n'avoir jamais cessé de tourner autour de ces deux thèmes : insatisfaction, réinvention formelle.
     
    Astor Piazzolla n'est pas seulement un génie du bandonéon, ni un géant du tango : il est l'un des grands musiciens, tout court, du vingtième siècle, dans une Argentine de si haute culture littéraire et musicale, à la fois brûlante, passionnée, noble, fracassée. Il y a, dans le Buenos-Aires de Piazzolla, quelque chose de la Vienne de 1900. Souffrance et lumière. Dédale, invention. Trouvaille et salut.
     
     
    Pascal Décaillet