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Liberté - Page 481

  • Adultes, libres, vaccinés

     

    Sur le vif - Lundi 22.06.20 - 09.43h

     

    Je n'ai jamais partagé cette idée voulant qu'un Parlement soit "représentatif". Il y a, dans cet adjectif, un côté peinard, gentillet, école publique genevoise égalitaire, en un mot gnangnan, qui m'exaspère.

    Représentatif de quoi ? Des genres ? Des ethnies ? Des options de vie privée ? Des adhésions confessionnelles ? Des classes d'âge ?

    A tout cela, je dis non. Ou plutôt, je dis : cela n'est pas ma conception de la République.

    Un Parlement incarne le choix électoral d'un moment. De cela, et de cela seul, il est "représentatif". C'est tout.

    Il n'est pas une gentille photographie de famille. Mais un rapport de pouvoir, voulu par le peuple, pour une période donnée. Le pouvoir n'est pas quelque chose de sympathique. Il fait mal, parfois. Il ravit les uns, écarte les autres. Il est un jeu de victoires et de défaites, de larmes et de jouissances.

    Il est le résultat d'une volonté citoyenne. Il n'est pas une foire aux échantillons, avec nécessité proportionnelle de les exhiber tous. Il n'est pas une palette de couleurs. Il n'est pas un arc-en-ciel.

    Si la volonté citoyenne du moment de l'élection a choisi de fortes majorités dans un sens, ou dans l'autre, elles sont légitimes, pour la législature. Il n'y a pas à tempérer ce choix du peuple par des quotas, de quelque ordre qu'ils puissent surgir. La volonté populaire est indivisible.

    En République, il n'y a ni hommes, ni femmes, ni ethnies d'origine, ni jeunes, ni vieux, ni communautarismes confessionnels, ou comportementaux. Il n'y a que des citoyennes et des citoyens. Adultes, libres, vaccinés.

     

    Pascal Décaillet

  • C'est LA VILLE ALLEMANDE qu'on a anéantie !

     

    Sur le vif - Dimanche 21.06.20 - 15.07h

     

    Entre 1943 et 1945, ça n'est pas l'Allemagne que les Anglo-américains ont détruite. Non, c'est la VILLE ALLEMANDE. J'avais déjà écrit sur ce sujet en 2015, c'est un thème que j'étudie de près, depuis des décennies. Il me fascine littéralement, depuis en tout cas 1968 (première traversée complète Sud-Nord, puis Nord-Sud, des Allemagnes, en famille, avec de nombreuses étapes, souvenirs d'édifices luthériens encore marqués par les obus, au bord de la Baltique).

    En 1648, l'Allemagne est détruite. Toutes les Allemagnes, presque, villes et villages. Principalement par les Suédois, mais pas seulement. Pour prendre la mesure de cette horreur, lire absolument le "Simplicius Simplicissimus", de Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen, 1668. C'est un très grand livre, un chef d’œuvre. Il faudra un siècle au monde allemand pour s'en remettre. Il faudra l'immense Roi de Prusse Frédéric II (1740-1786), l'homme qui a relevé la puissance allemande en Europe.

    En 1945, les villes allemandes (pas toutes, mais un nombre immense d'entre elles) sont détruites. Les pires carnages : Hambourg, été 1943, les Anglais ; Dresde, 13 et 14 février 1945, les Anglais). Berlin, Munich, Nuremberg, et tant d'autres, rasées, ou presque. En revanche, en ce même mai 1945, au moment où les armes se taisent, une majorité de villages allemands sont intacts, ou très peu touchés. Il y eut, bien sûr, des villages détruits, mais là c'était (pour une fois !) dans la foulée d'opérations stratégiques ciblées, parce qu'il y avait un objectif militaire - ou économique - à atteindre, à proximité. Lignes ferroviaires, usines, etc.

    En mai 1945, la campagne allemande est peu touchée, en matière de destructions du patrimoine. Le sous-sol n'est absolument pas atteint. Le charbon, l'acier allemand, l'aluminium allemand sont intacts. On s'en avisera très vite, notamment dès qu'on commencera (dès 49) à envisager une "mise en commun" du charbon et de l'acier. C'est cela, l'origine de l'Europe communautaire !

    La campagne n'est pas touchée, mais les villes sont anéanties. Et ça n'est pas pour rien ! Il y avait, chez les Alliés, NOTAMMENT BRITANNIQUES, une volonté absolument délibérée de détruire non pas "les villes allemandes", mais LA VILLE ALLEMANDE, en tant que telle. Pas seulement pour venger Coventry ! Non, on s'en est pris à dessein à la ville allemande, comme univers de représentation depuis le Moyen Âge. On s'est acharné sur des bijoux comme Nuremberg, Würzburg, et tant d'autres, parce qu'on savait parfaitement la valeur inestimable, dans le façonnement de l'identité nationale germanique, de ce qu'on réduisait en cendres. L'agent de cette destruction systématique fut, côté anglais, le fameux Maréchal de l'Air Harris, surnommé "le Boucher". Mais la tête pensante, pétrie d'Histoire et de culture, qui d'autre pouvait-elle être que Winston Churchill lui-même ? Tout biographe un peu sérieux du Vieux Lion connaît l'immensité de ces zones d'ombre.

    Il appartient encore aux historiens d'établir exactement les raisons politiques et stratégiques de chaque raid : Hambourg et Dresde, évidemment, que nul Tribunal international n'a jamais jugé, mais une bonne centaine d'autres, aussi. On y trouvera parfois des objectifs militaires, et alors nous voudrons bien admettre qu'on ne "fait pas d'omelette sans casser des œufs". Il y aura des zones de doutes. Et puis, il y aura clairement les raids où aucun objectif militaire ne justifiait la destruction totale d'une ville, avec des dizaines de milliers de victimes civiles.

    Tant que ce travail de clarification n'aura pas été fait, exhaustivement, et publié, des pans entiers de la Seconde Guerre mondiale, hélas, demeureront hors de la connaissance du public. Et l'historiographie triomphante des vainqueurs continuera, seule, d'occuper le terrain.

     

    Pascal Décaillet

  • LA DDR, une Histoire allemande

     

    Sur le vif - Samedi 20.06.20 - 11.22h

     

    J'ai toujours eu un faible pour la DDR, depuis près d'un demi-siècle, en tout cas depuis 1972. En 1978, j'avais écrit à l'Université d'Iéna, pour aller passer un semestre chez eux. Ils m'avaient répondu, très gentiment, qu'ils étaient infiniment sensibles à l'intérêt que pouvait leur porter un jeune étudiant en Germanistik, quelque part à l'Occident, mais qu'hélas, "pour des raisons de logistique" (je me demande bien lesquelles !), la chose ne serait "pas tout de suite possible". Bref, mon rêve d'aller lire Hölderlin et Brecht dans cette Allemagne orientale à laquelle me rattachaient tant de sentiments puissants, ne s'est pas concrétisé. J'ai retrouvé la DDR plus tard, autrement.

    Rien que sur la DDR, je pourrais écrire plusieurs livres. Tout d'abord, l'inutilité de cette appellation : il y a la Prusse, il y a la Saxe, il y a la Thuringe. Aucune idéologie, jamais (et Dieu sait si elles furent coercitives, entre 1933 et 1989), n'a pu avoir raison de ces puissantes identités nationales, ancrées dans des siècles d'Histoire, au sein de la pluralité naturelle des Allemagnes.

    Et puis, il y a la culture. Dès l'âge de vingt ans, j'ai lu les auteurs de la DDR. J'y ai immédiatement trouvé autre chose que de simples chantres du communisme, ce qui eût été un peu court pour capter les appétits littéraires du jeune homme que j'étais. Plus tard, j'ai découvert Christa Wolf, Heiner Müller, et tant d'autres. Nous sommes loin de la DDR ramenée (par la propagande occidentale) à la seule image de la Stasi, la redoutable police politique, en effet détestable.

    Pour ma part, je n'ai jamais jugé un peuple à l'aune de son idéologie dominante du moment. D'autres facteurs, innombrables, le définissent : le rapport à la langue, l'organisation mentale des représentations, les questions confessionnelles, spirituelles, culturelles, et bien sûr économiques et sociales. Je ne crois pas aux "parenthèses" en Histoire : ni pour la période 1933-1945 en Allemagne, ni pour la période 1945-1989 en DDR, ni pour la période 1940-1944 en France, ni pour la période 1922-1943 (ou 45) en Italie. Chacune d'entre elles appartient à la continuité historique de son pays. Il convient dès lors de tenter de comprendre comment elles ont pu exister, en vertu de quelles chaînes de causes et de conséquences. Lire Kraus, Thomas Mann, Heinrich Mann, Klaus Mann.

    La DDR me touche, au plus profond. Parce que les trois grandes nations allemandes, la Prusse, la Saxe, la Thuringe, qui par le sort des armes furent dévolues à l'occupation soviétique (et non américaine, britannique, ou française), avec obligation d'installer un régime communiste, ont bien dû "faire avec". Eh bien, ils ont fait ! Et franchement, vu les conditions, ils ne s'en sont pas si mal sortis ! C'était un régime sans liberté politique, il faut le dire. Mais ils ont fait beaucoup pour le social, pour l'égalité des chances, pour l'accès à la culture, aux sciences. La vie associative, culturelle, sportive, était remarquable. Tout cela, dès la fin de l'enfance, ou le début de l'adolescence, je l'avais perçu.

    Voilà pourquoi, que cela vous plaise ou non, que cela plaise ou non aux anticommunistes viscéraux (dont je n'ai jamais fait partie), nous ne m'avez jamais entendu, vous ne m'entendrez jamais dire du mal de cette partie des Allemagnes qui, du 8 mai 1945 au 9 novembre 1989, a fait ce qu'elle a pu. Son génie est une partie du génie allemand. Son Histoire, son destin, sont ceux de l'Allemagne. Il n'y a pas de parenthèse. Il y a un texte, dans la continuité d'un plus grand texte. La DDR, c'est une Histoire allemande. C'est tout.

     

    Pascal Décaillet