Liberté - Page 275
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Recoudre la France
Sur le vif - Vendredi 22.04.22 - 10.19hAprès-demain, les Français rééliront un conservateur. L'homme de l'Ancien Régime, de l'Ancien Monde. L'homme qui a "oublié", nous dirons "omis", d'installer la proportionnelle. Il avait cinq ans pour le faire. L'homme qui est resté sourd à toutes les revendications des Gilets jaunes, pouvoir d'achat, droits populaires.Prenez le dernier chapitre de l'interminable débat de mercredi, de loin le plus intéressant : les pouvoirs du peuple. En Suisse, nous connaissons bien. Marine Le Pen arrive avec des propositions parfaitement claires, innovantes, révolutionnaires. Une conception de la primauté du peuple qui rappelle avec éclat le système suisse : le souverain, c'est lui. Emmanuel Macron ne cesse de lui dire : "En grillant les corps intermédiaires, nous irions contre la Constitution". Juste que, précisément, c'est la Constitution que sa rivale veut modifier. Il fait semblant de ne pas entendre. Il ne veut juste rien changer.En France, l'aspiration à des droits populaires donnant aux citoyennes et citoyens la possibilité d'intervenir directement sur le fond (comme, chez nous, l'initiative), est tellurique. C'était ça, les Gilets jaunes. Dans ce domaine, comme dans les sujets sociaux, Marine Le Pen incarne une volonté révolutionnaire. Face à elle, le Président sortant se cramponne aux corps intermédiaires, défend les corporations d'Ancien Régime. C'est un homme très conservateur, libéral en économie, très sceptique sur les grandes réformes sociales. Il ne rappelle absolument pas Charles de Gaulle, puissant rénovateur d'institutions, mais Georges Pompidou. La France de la prudence, du bas-de-laine.Sans doute, après-demain, la France réélira-t-elle cet homme-là. Elle l'aura voulu. Mais elle sera coupée en deux. Aux grandes colères sociales, aux souffrances, au sentiment d'oubli et d'abandon, à l'urgence d'une régulation drastique des flux migratoires, une moitié du pays n'aura pas de réponses. Ces deux France irréconciliables, il faudrait la grandeur d'un Roi Henri, oui le Quatrième, pour les recoudre."Recoudre". Tiens, ce mot juste et simple était dans son discours, à elle. Pas dans le sien, à lui.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif -
Ils sont artistes ? Et alors !
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 20.04.22
Vous aimez les spécialités parisiennes ? Il en est une qui devrait vous ravir : les pétitions « d’artistes », ou « d’intellectuels », à quelques jours d’une élection. On se donne quelques coups de téléphone, entre privilégiés du gratin, on tartine un manifeste, on le fait signer par une liste de stars, on y dénonce la bête immonde, le retour au fascisme, le syndrome des années trente, et il y a toujours un moment, dans le texte, où apparaît la formule « Plus jamais ça ! ». Ainsi, nos élites Rive Gauche auront fait leur boulot, elles pourront aller siroter leur drink sur une terrasse de Saint-Germain-des-Prés, en se prenant pour Sartre ou pour Beauvoir, ou pour Juliette, ou pour Camus : le sentiment du devoir accompli. Elle est dure, la vie d’intellectuel : on le mérite, son capuccino sur la table ronde du Flore, avec Le Monde et le Canard entre la saccharine et l’amaretto.
Ils nous ont fait le coup en 1988, deuxième tour. Réélection de François Mitterrand, pour sept ans. La bête immonde s’appelait Jacques Chirac, Premier ministre de cohabitation sortant. Ce républicain pure souche, pétri des grandes valeurs qui ont fait la France, une sorte de rad-soc des Troisième et Quatrième Républiques, ils ont réussi à nous le décrire comme une antichambre du fascisme en France. Ils étaient tous là, les « artistes », les « intellos », concerts à la bougie, chœurs effarouchés, « Tonton, laisse pas béton », pour ériger François Mitterrand en saint, voire en « Dieu », et nous diaboliser Chirac. Dieu fut réélu, le Corrézien dut attendre sept ans.
Ils nous ont refait le coup, puissance mille, lorsque Jean-Marie Le Pen s’est permis l’outrecuidance de se hisser au second tour, en 2002, à la place de Jospin, lamentable troisième. J’entends encore l’un d’entre eux, fort bon acteur au demeurant, prendre un air de gravité monastique, et oser nous sortir « Dès ce jour, nous entrons en résistance ». Le ridicule ne tue pas. Tant mieux pour l’acteur : il est toujours parmi nous. Et cette fois, c’était Chirac en face : le méchant de 1988 était devenu le sauveur de 2002. Et la vie, à Saint-Germain, continuait, tranquille, comme le cours de la Seine, immuable depuis Victor Hugo, Esmeralda et Quasimodo.
Je vous passe 2017, Macron-Marine no 1, glissons à 2022, Macron-Marine no 2. Et ils sont toujours là, nos artistes, nos intellos ! Pétitions, dans les journaux branchés. Grandes leçons, sur l’avènement des régimes autoritaires. Les fronts, plissés. Les airs, emplis de gravité. L’index, érigé vers le ciel. Ils n’ont sans doute pas lu, pour l’écrasante majorité d’entre eux, ni Thomas Mann, ni son frère Heinrich, ni Klaus. Ils n’ont jamais étudié la République de Weimar, encore moins l’Italie de 1922. Mais pour la leçon de morale, ils sont toujours là. Ils ont compris, mieux que le peuple français, la douceur du Bien contre l’acidité du Mal. Ils sont prêts à monter sur l’autel. Non pour jouer, ni pour chanter. Mais pour prêcher.
Pascal Décaillet
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Marine face aux plumes du paon
Sur le vif - Jeudi 21.04.22 - 06.57hPoint 1 : faire fi des préférences personnelles des uns et des autres. Les partisans de Macron l’ont sans doute trouvé génial, ceux de Marine idem pour elle. Aucun intérêt, donc.Point 2 : un débat, comme d’ailleurs toute cette campagne 2022, qui entre beaucoup trop dans les détails. Le temps de lavage d’une personne de grand âge dans une maison de santé, le matin, n’est pas du ressort du Président de la République française. Ce dernier s’occupe des Affaires étrangères, de la Défense, et de la cohésion nationale. On n’a pas besoin, à ce niveau de débat, du tour de piste de chiens savants, de bêtes à concours, qui ont bûché leurs fiches pendant des jours.Point 3 : le débat fut mille fois plus équilibré que celui de 2017. Marine Le Pen est demeurée calme et rationnelle, elle n’a pas fait l’avion avec ses mains, elle a encaissé en souriant les plus basses attaques, notamment celle sur son emprunt russe, où l’ancien de la Banque Rothschild s’est montré indigne de sa fonction élyséenne sortante. Match nul, donc, ce qui est déjà une petite victoire pour la challenger.Point 4 : Macron n’a cessé d’interrompre son adversaire. Elle, l’a laissé parler. Elle a bien fait.Point 5 : les deux journalistes auraient pu lancer le débat, s’absenter pour aller dîner en ville, et juste revenir pour conclure, ça n’aurait rien changé.Point 6 : la courtoisie du débat permet de révéler avec précision les deux France qui se sont affrontées hier. En 2022 comme il y a cinq ans, l’antagonisme Macron - Le Pen souligne, mieux que n’importe quel autre, l’exacte ligne de fracture de la politique française. Souveraineté contre dépendance, Nation contre partie d’un Empire, protectionnisme contre libre-échange, bonapartisme social contre orléanisme libéral, contrôle de l’immigration contre ouverture des frontières, souveraineté du peuple contre machinerie des corps intermédiaires, etc.Point 7 : on n’a pas parlé d’obédience atlantiste. C’est dommage. Le paon aurait perdu quelques plumes.Point 8 : dans trois jours, il faudra regarder en valeur absolue, donc en millions de voix, le résultat de Marine Le Pen, quel que soit l’élu. Et prendre acte, comme je l’ai déjà écrit, de l’inexorable progression de l’idée nationale et souverainiste dans la société française, depuis quinze ans. Quel que soit l’élu, le libéralisme économique débridé, l’immigration non-contrôlée, la folie des délocalisations, c’est terminé. Un Français sur deux, au moins, n’en veut plus. Et n’en a sans doute jamais voulu. Même reconduit, l’orléaniste devra en tenir compte.Point 9 : nous avons eu hier un débat entre la droite libérale et la droite souverainiste et sociale. La gauche était aux fraises. C’est un peu tôt dans la saison. Mais bordel, ça fait du bien.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif