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Liberté - Page 219

  • La folle étreinte avec le macadam

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 02.11.22

     

    Depuis des années, ici même, je dénonce la mode « sociétale » qui envahit le débat public. Et je propose de revenir aux fondements de la politique : l’action sociale, populaire, concrète, au service de tous, et notamment des plus démunis parmi nos compatriotes. Malades, infirmes, personnes âgées aux retraites insuffisantes, jeunes sans emploi, sans avenir, travailleurs pauvres, oubliés de la vie. Je suis pourtant un homme de droite, attaché à la patrie, et justement pour cela je tiens la cohésion sociale pour essentielle : à l’intérieur de notre communauté nationale, on ne laisse personne sur le bord du chemin.

     

    Le « sociétal » : pas question de nier les souffrances de toute une série de minorités dans notre société. Nous devons nous montrer ouverts, égalitaires, fraternels. Vous ne trouverez pas en moi un homme tenant un autre discours que celui de l’égalité entre les humains. J’adresse la même parole, sur le même ton, au plus modeste de nos contemporains qu’à un ministre. Je ne supporte pas l’arrogance sociale, sous prétexte qu’on est mieux nanti qu’un autre, ou qu’on occupe une position plus enviable.

     

    Mais désolé, l’obsession sociétale, en politique, doit être condamnée. Il y a d’autres choses à considérer, dans le domaine public, que cette focalisation abusive sur les questions liées au genre, au sexe, à la couleur de la peau. Non que ces dernières soient inutiles. Mais chez certains, elles ont dévoré toute la place. Plusieurs facteurs y ont contribué. D’abord, la faiblesse de caractère, l’incapacité à la résistance intellectuelle et spirituelle de pas mal de politiques : face à la pression de minorités agissantes, ils ont préféré céder. Pour s’éviter des ennuis, ils ont choisi le sens du vent. De ces gens-là, tous partis confondus, nous n’avons rien à attendre. Ils manquent de solitude. Ils manquent de caractère. Ils sont les montres molles, sur les toiles de Salvador Dali.

     

    Mais l’Empire du Sociétal n’aurait jamais atteint un tel pouvoir sans la responsabilité écrasante des médias. A la RTS, mais aussi dans certains quotidiens, le moindre « activiste », saisi par la lumineuse idée de se coller au bitume, a immédiatement droit à une couverture en direct de son étreinte avec le macadam, suivie de l’interview d’un chercheur en sciences sociales de l’Université de Lausanne, puis d’un commentaire de la rédaction en chef pour peser le pour et le contre de sa folle aventure sur la chaussée. On ne parle même plus des chiens, on tient la chronique des humains écrasés.

     

    Pendant ce temps, le social, on le tait. Solitude de tant d’aînés, modestie de leurs rentes. Manque de formation de nos jeunes. Mépris pour l’apprentissage, pourtant essentiel. Classes moyennes passées à l’essorage. Taux d’analphabétisme, entendez ceux qui lisent laborieusement, syllabe par syllabe, saisissant pour une société moderne. Primes maladie. Fiscalité dévorante. Prix de l’énergie. Prix des médicaments. Mais non, on préfère braquer les projecteurs sur le premier « activiste venu », venu prouver à la rue l’intensité de son adhésion. Pour ma part, fidèle à mes valeurs, je dis : « Le social oui, le sociétal, non ! ». Et vous adresse mon salut.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Brecht, la DDR, le jaillissement souterrain des mots

     
    Sur le vif - Mardi 01.11.22 - 09.01h
     
     
    Jamais la vie théâtrale allemande n’a été aussi saisissante d’invention, de surprises et de profondeur que pendant les quinze premières années d’existence de la DDR. À Berlin-Est, mais pas seulement : Dresde, Weimar, Rostock, et d’autres villes.
     
    Comme à l’Ouest, ces villes étaient en ruines. C’est au milieu des décombres que tout a commencé. Auferstanden aus Ruinen ! Au centre de tout, un homme, le plus grand dramaturge allemand, mais surtout un poète, un inventeur de mots, le plus fécond de l’Histoire littéraire allemande, avec Martin Luther, génial traducteur de la Bible, en 1522. Acte fondateur de la littérature allemande moderne.
     
    Cet homme, c’est Bertolt Brecht, sur lequel j’ai travaillé dans ma lointaine jeunesse, son Antigone, notamment, en lien avec celle de Sophocle. Mais beaucoup d’autres textes. J’ai étudié Brecht sous l’angle des mots, de son rapport à la langue allemande, jusqu’à des inflexions de son dialecte souabe natal dans les dialogues, et non sous l’angle dramaturgique. Eh oui, Brecht est un Allemand du Sud-Ouest, comme Hölderlin, autre traducteur de Sophocle. Précision capitale.
     
    Au milieu de la ruine allemande, Brecht lance la grande aventure théâtrale de la DDR de l’après-guerre. Dans une Prusse sous occupation soviétique. Le grand Kleist, mais aussi Fichte, n’avaient-ils pas lancé la renaissance prussienne, et finalement l'invention de l'idée nationale allemande, sous occupation française, entre 1806 et 1813 ? Dans les deux cas, la faiblesse passagère de l’Allemagne politique se trouve comme compensée par le jaillissement souterrain des mots. Le parallèle des deux situations historiques m’interpelle depuis 45 ans.
     
    C'est dans cette DDR-là, aux côtés de ce créateur d'exception, qu'interviennent les incroyables années de Benno Besson à Berlin-Est. Pour entrer dans cette époque, je vous invite à aller voir Philippe Macasdar et Carlo Brandt, du 3 au 6 novembre, sur le plateau de la Comédie de Genève. Ils y présentent un spectacle intitulé BB100, autour de la vie de Besson, qui aurait eu 100 ans le 4 novembre. Près de 70% du spectacle, nous disait Macasdar hier soir aux Yeux dans les Yeux, sont des archives audiovisuelles. On peut s'attendre à un moment scénique riche d'enseignements, d'informations : apprendre par le plaisir, l'un des principes moteurs de Brecht.
     
    Depuis l'adolescence, je me passionne pour la DDR, où je me suis maintes fois rendu, et à laquelle me lient des souvenirs personnels qui remontent à très loin. Je lisais, dès le milieu des années 70, les auteurs de la DDR, certains sont saisissants, dans la très grande tradition du récit allemand. Moins baroques que Günter Grass, moins envoûtants que Kafka ou Thomas Mann, mais impressionnants de précision et de recul dans la restitution du réel. Derrière les grandes étoiles que sont Heiner Müller et Christa Wolf, il y a un foisonnement d'auteurs de nouvelles, moins connus, mais qui font partie de la littérature allemande, tout court.
     
    Bref, allez voir Macasdar et Carlo Brandt. Et lisez, dans la langue bien sûr, les auteurs allemands.
     
    Tenez, je ne comprends pas pourquoi Brecht n'est pas davantage lu, dans les écoles, sous l'angle de ses mots, de ses phrases, de son rythme, de son génie du dialogue (n'oublions jamais la musique éblouissante de Kurt Weill), bref sous son angle poétique, au sens grec de ce mot (le poète, celui qui fait, celui qui fabrique, celui qui façonne). Plutôt qu'en répétant, parfois un peu servilement, les théories dramaturgiques de la Distanzierung.
     
    La passion des élèves ne surgira que si elle est générée, en amont, par une passion des profs. De Sophocle ou Aristote aux Lehrstücke de Brecht, apprendre par le plaisir. Celui, par exemple, d'incorporer un texte en le faisant lire, par toute une classe, un élève après l'autre, à haute voix. Mit lauter Stimme. Restituer chaque point. Chaque virgule. Chaque souffle de vie, dans le corps intime du texte.
     
    Le prof qui ose cela récoltera un jour ou l'autre, par la voie d'un élève touché par la grâce des mots, les fruits de sa propre passion.
     
     
    Pascal Décaillet

  • De Rome à Brasilia, le brouet consensuel de la presse romande

     
    Sur le vif - Lundi 31.10.22 - 08.49h
     
     
    Comme il fallait s'y attendre, la petite musique médiatique offerte à nos oreilles, ce matin, est celle du triomphalisme pour célébrer la (très courte) victoire de Lula, face à Bolsonaro. Pour tout esprit libre, indépendant, quelles que soient ses options sur la politique brésilienne, le procédé est insupportable.
     
    La presse romande est toujours pour Mme Clinton, contre Trump. Toujours pour Biden, contre Trump. Toujours pour Lula, contre Bolsonaro. Toujours pour Macron, contre Marine Le Pen. Toujours pour le plus grisâtre des apparatchiks de l'ancien système italien, contre Giorgia Meloni. C'est prévisible. Planifiable, au millimètre. Désespérément recommencé.
     
    Eh bien moi, j'en ai marre. Marre de ces médias qui disent tous la même chose, dont les journalistes sont tous formatés aux mêmes matrices, de préférence anglophones, atlantistes, européistes. Tous les mêmes ! Et ils se tiennent par la barbichette.
     
    J'exerce le métier avec passion depuis bientôt quarante ans. Je ne me reconnais absolument plus dans cette corporation des intérêts, ce syndicat de l'uniformité, cette confrérie de la cooptation.
     
    Je suis plutôt pour Bolsonaro, c'est vrai. Plutôt pour Trump. Plutôt pour Mme Meloni. Mais la question n'est pas là. Je lis et j'écoute volontiers les arguments en faveur de leurs adversaires. Mais cette soupe ! Ce brouet consensuel !
     
    Ca n'est plus possible. Dans le monde des idées, c'est la guerre. Eh bien, menons-la. Chacun selon ses convictions. Et jusqu'au bout.
     
     
    Pascal Décaillet