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Liberté - Page 1306

  • Tessin, Lucerne : les nouvelles frontières de la politique suisse

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    Sur le vif - Dimanche 11.04.11 - 16.50h

     

    C’est fini. Les deux partis qui ont fait la Suisse, les radicaux (depuis 1848), les démocrates-chrétiens (depuis le ralliement de 1891) ne la font plus. Ils vont bien sûr continuer de vivre, les partis ne meurent que très lentement, mais le temps de leur suprématie est terminé. Deux scrutins électoraux capitaux, ce dimanche, leur assènent le coup de grâce : Lucerne, fief historique du Sonderbund, et le Tessin. Il y aura un avant et un après 10 avril 2011.

     

    A Lucerne, fief identitaire du PDC, canton central de l’alliance catholique conservatrice en 1847, dans ce Saint des Saints, la démocratie chrétienne perd la bataille face à la montée de l’UDC et l’émergence des Verts libéraux. Plus fou encore : dans ce même canton, l’ennemi historique, le contrepoids rationaliste à la vieille piété de Suisse centrale, les libéraux-radicaux, perdent aussi. Nouvelle carte politique, nouveaux vainqueurs, nouvelles frontières.

     

    Mais Lucerne n’est rien en comparaison du Tessin : la Lega est à 36,2% ! A coup sûr, le parti de Giuliano Bignasca va placer, en plus de l’excellent Marco Borradori, un deuxième conseiller d’Etat, sans doute le conseiller national Norman Gobbi. Et au Tessin aussi, PDC et libéraux-radicaux perdent. Là encore, nouvelles frontières, déplacement du curseur, invasion de la feuille entière par la marge.

     

    Sans doute nombre d’éditorialistes, demain matin, nous expliqueront que Tessinois et Lucernois ont mal voté. Qu’ils ont choisi les partis de la peur. Qu’ils sont mal dans leur peau. Que les sirènes populistes ont gagné. Que les gens sont vraiment mal inspirés de bouder les partis de la Raison. Oui, demain, ils diront tout cela. Laissons-les dire. Rendez-vous le dimanche 23 octobre.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les Montgolfières, le paon, les juristes imberbes

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    Sur le vif - Quelque part dans l'air - Dimanche 10.04.11 - 09.19h

     

    Il est des matins du monde plus vivifiants que d’autres. Ainsi, ce dimanche 10 avril, si soluble dans l’air, avec ce ciel de Genève qui commence à se tapisser de Montgolfières. Hier, c’était le paon du Jardin botanique qui faisait la roue, tétanisant le regard des passantes. Début de printemps exceptionnel, bonheur de vivre, d’habiter cette ville, si troublante. En plus, je lis Serge Moati, « 30 ans après », Seuil, mars 2011, il nous rappelle que l’anniversaire du 10 mai 1981 approche. Jamais, pour ma part, je n’oublierai François Mitterrand. L’homme, sa classe, sa culture, son rapport à la Province, son amour charnel de la France, qu’il connaissait dans l’intimité de sa géographie.

     

    Mais il y a autre chose, de l’ordre du sel sur le Finistère d’une langue, ou du silex dans l’amertume d’un Sancerre, ce matin, pour me donner envie de mordre à pleines dents la sainte folie de cette journée : la page 23 du Matin dimanche. Interviewé par Sonia Arnal et Ariane Dayer, Pierre Lamunière, qui a vendu vendredi ses journaux à Tamedia, dit s’être beaucoup énervé contre « les offices bernois, la Commission de la concurrence, l’OFCOM, ces nids de juristes obscurs et imberbes, tout juste sortis de l’Université, qui vous pondent des règlements purement juridiques, sans aucune vision ».

     

    Douce prose ! Visions d’éphèbes sous la poussière des livres. Douce nuit, « obscure », aveugle, la nuit des innocents. Qu’on aurait juste envie, au passage, de massacrer. Singulier début de printemps, où ce sont les paons qui font la roue, les Montgolfières qui enflent, et les imberbes qui pondent.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Blocher, Darbellay, le Stöckli

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    Sur le vif - Vendredi 08.04.11 - 19.50h

     

    Christophe Darbellay le prédit, dans le Grand Oral qui sera diffusé après-demain, dimanche 10 avril  (20h sur La Télé et Léman Bleu) : « Leader du plus grand parti du plus grand canton, Blocher sera le conseiller national le mieux élu de Suisse, au soir du dimanche 23 octobre. En revanche, pour les Etats, il n’a aucune chance : il ne pourra qu’atteindre le potentiel électoral maximum de son parti à Zurich, quelque chose comme les 35% d’Ueli Maurer, il y a quelques années ».

     

    Darbellay a raison. Et Blocher le sait. Alors, pourquoi ce combat ? Parce qu’en s’attaquant au Stöckli, les socialistes et l’UDC, qui y sont sous-représentés depuis toujours en raison des modes électoraux, s’en prennent symboliquement à la Chambre qui incarne la Suisse de la raison, de la modération, des passerelles, des recherches de « solutions ». La Chambre où l’on parle assis. Où nul, jamais, ne s’emporte. Dans l’antichambre de laquelle Gilles Petitpierre fumait sa pipe. Ou aucun éclat, ni de verbe ni de geste, n’altère, sous la molasse, la bourgeoise sérénité des lieux.

     

    Le Conseil des Etats, en 1848, a été créé pour compenser la puissance des grands cantons : Zurich a deux élus, Glaris aussi. A la base, une idée de génie, protectrice des minorités, garante du fédéralisme. En ce milieu du dix-neuvième siècle, quelques mois seulement après le Sonderbund, il fallait impérativement ce contrepoids. Il a sauvé la construction du pays. Et sans doute, aujourd’hui, est-il encore nécessaire, même si des réformes de modes électoraux sont souhaitables.

     

    La Chambre de la « recherche des solutions ». La formule provient de l’apothicaire Didier Burkhalter, l’homme qui aime la politique en cercle clos, pour bien doser la recette-miracle. Enfin, disons que c’était sa méthode lorsqu’il était sénateur, parce que là, depuis qu’il est aux affaires, le miracle se fait méchamment attendre. La Chambre des compromis. La Chambre où l’on tente de s’entendre. La Chambre où règnent (jusqu’au 23 octobre, mais sans doute pour quelques années encore) les deux partis historiques qui ont dominé la Suisse du vingtième siècle, les radicaux (je n’arrive pas à m’habituer à la dénomination « PLR »), et, devant eux, le PDC. Le Valais, jusqu’à aujourd’hui, n’a envoyé, depuis 1848, que des PDC (jusqu’à une époque récente, on disait des « conservateurs ») au Conseil des Etats !

     

    Ce que vont tenter les socialistes et l’UDC, c’est de troubler un peu la solide tranquillité de la citadelle. La tâche sera très rude, et sans doute les fruits, au soir du 23 octobre, peu nombreux. Mais la politique est affaire de symboles, Blocher le sait mieux que tout autre. Certains combats doivent être menés. Parce qu’un combattant qui se relâche est déjà mort. En s’attaquant au Stöckli, les partis frontaux donnent un signal. Et prennent date pour l’avenir. Ils nous rappellent aussi qu’un combat se mène debout, souvent dans la rue, avec les mots de tous les jours, avec parfois le ton qui monte, et le style affectif qui se substitue à la rotonde placidité de la rhétorique sénatoriale. C’est cela, cette symbolique-là, qui se joue. D’autres assauts, dans quatre ans, dans huit ans, dans douze, ne manqueront pas. L’Histoire est ouverte.

     

    Pascal Décaillet