Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 1187

  • Je ne dis jamais

     

    Samedi 02.06.12 - 09.37h

     

    Je ne dis jamais agriculteur, mais paysan.

     

    Je ne dis jamais solutionner, mais résoudre.

     

    Je ne dis jamais personne âgée, mais vieillard.

     

    Je ne dis jamais thématique, mais simplement thème, ou sujet.

     

    Je ne dis jamais développement durable.

     

    Je ne dis jamais adénopathie.

     

    Je ne dis jamais office, mais messe. Et ceux qui disent culte sont mes frères.

     

    Je ne dis jamais non-voyant, mais aveugle.

     

    Je ne dis jamais groupe sujet, ni aucune de ces pollutions, j'use de la magnifique et limpide grammaire de mon enfance.

     

    Je ne dis jamais pédagogie, mais éducation.

     

    Je ne dis jamais écoquartier.

     

    Je ne dis jamais « requalifier l'espace urbain », j'aime trop les mots.

     

    Je ne dis jamais épicène, mais épicé oui.

     

    Je ne dis jamais conflit armé, mais guerre.

     

    Enfant, je disais toujours Russie, jamais URSS.

     

    Je ne dis jamais Europe, mais France, Allemagne, Italie, très souvent.

     

    Je ne dis jamais Vichy, mais Perrier.

     

    Je ne dis jamais mode, parce que ça se démode.

     

    Je ne dis jamais Réseau d'enseignement prioritaire. Il y en aurait des secondaires ?

     

    Je ne dis jamais petite enfance, même si c'est très beau.

     

    Je ne dis Phénix que dans Apollinaire.

     

    Je ne dis jamais art contemporain. L'art est contemporain, ou n'est pas.

     

    Je ne dis jamais grands textes, c'est trop con.

     

    Je ne dis jamais citoyennes et citoyens, je dis citoyens, et j'entends que ce neutre englobe les deux sexes.

     

    Je dis toujours bonjour, et au revoir.

     

    Je ne dis jamais adieu, même aux morts.

     

    Je ne dis jamais mur, ni statut. Si ce n'est pour parler d'un mur. Ou d'une statue.

     

    Je dis très volontiers week-end, l'anglais n'est pas le diable.

     

    Je dis strophe, quatrain, impair et vers libre. Surtout, je m'en nourris.

     

    Je dis le pain, le vin, l'eau, la rivière, le ciel, la source, la terre, le lac de montagne, la paix de l'oiseau, au-dessus de l'étang.

     

    Je dis l'huile et le feu.

     

    Je dis vivez. De la fureur du verbe. Que vos mots soient les vôtres. Et vôtres, la révolte, et la beauté du monde.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Pour changer un peu de Pierre Ruetschi...

     

     

    Portrait subjectif - GHI - 31.05.12

     

     

    Stauffer, l'homme qui surgit

     

    Moi, je dis qu'il est italien. De ceux qu'on aime : bandit des montagnes, condottiere, rugueux, broussailleux, très famille et très folie, l'Aventura. Si Maudet est Oiseau de feu et Anne Emery-Torracinta, Femme sans ombre, alors qui donc serait Eric Stauffer ? Surgi de quelle haie, de quel noir fourré ? Compagnon du maquis qui se commet en ville, mauvais garçon en instance de repentance, homme des bois policé pour la nécessité de la manœuvre, parrain oublié qui revient pour la fête. Que faisait-il, depuis la dernière communion ? Où était-il ? Sous quel soleil, et sous quelles ombres ? Eric Stauffer, l'homme qui a le plus marqué la politique genevoise depuis 2005, haï par les uns, adulé par les siens, est avant tout un mystère. Je ne l'ai, pour ma part, jamais percé.

     

    Ne venez pas me dire que mon portrait est subjectif : il l'est ! La couleur est annoncée, c'est marqué, en haut à gauche, dans l'encadré. Et qui serions-nous, n'importe lequel d'entre nous, pour oser « objectiviser » pareil phénomène ? Il serait l'insecte, et nous entomologistes ? Philippe Morel, député PDC, brillant chirurgien qui le « connaît de l'intérieur » pour l'avoir opéré, affirme que les entrailles de son abdomen sont normales. C'est déjà ça. Pour Frankenstein, il faudra donc chercher ailleurs.

     

    Pour le reste, quoi ? Un homme qui a été, un jour, humilié (sa préventive à Champ-Dollon, qui n'a abouti sur aucune condamnation), et a décidé, avec la plus phénoménale des énergies, de prendre sa revanche. Pas sur les juges ! Encore moins sur la police, avec laquelle il s'entend comme larrons en foire. Même pas sur la droite, ni la gauche. Mais contre un certain ordre établi à Genève, oui. Il serait Edmond Dantès, ils seraient les salopards de bourgeois de Marseille, entendus entre eux, qui l'ont envoyé au Château d'If. Vrai ou faux ? Peu importe : le mythe fonctionne. Eric Stauffer n'est pas un rationnel, il accomplit le chemin d'un désir, surgi des racines. Refuser de voir cela, c'est passer à côté de l'homme.

     

    A part ça, désolé, mais enfin, qu'on l'aime ou non, quel chemin en moins de sept ans ! En 2005, le MCG, encore tout marcassin dans les sombres taillis de la politique genevoise, force la porte du Grand Conseil. Quatre ans plus tard, il place dix-sept députés, et devient, ex-aequo avec les Verts, le deuxième parti du Parlement ! En 2011, un conseiller national, Mauro Poggia. Et la montée, doucement mais sûrement, dans les communes, qui sont le plus âpre et le plus difficile, le bastion des familles, la tourelle du bourgeois.

     

    Alors oui, le bourgeois commence à prendre peur. Naguère, dans les années 1846, la colère populaire grognait de Saint-Gervais, pour menacer la rue des Granges. Aujourd'hui, elle gronde d'un peu partout. On se rassure, on se dit que le cauchemar finira. Erreur ! Le MCG n'est pas Vigilance : il ne s'abolira pas aux prochaines élections. Le 17 juin, quel résultat fera Eric Stauffer ? Nous verrons bien. Mais l'homme des bois est là, sourcil broussailleux, œil noir, impétueux désir de revanche. Insensible à la colère postillonnée du bourgeois. Impavide aux tempêtes. Même dans un verre d'eau.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Claude Torracinta, notre modèle

     

    Sur le vif - Vendredi 01.06.12 - 09.17h

     

    Parmi les innombrables personnes qui, depuis six ans, me font l'amitié d'accepter mes invitations à « Genève à chaud », mon confrère Claude Torracinta est l'un de ceux qui m'honorent le plus. Depuis très longtemps, déjà pendant les longues années de Forum, ou même lorsque je produisais le 12.30h, ou les Matinales, cette intelligence lucide et vivifiante a toujours été d'une rare disponibilité pour venir commenter l'actualité, notamment française, mais aussi suisse.

     

    Aussi loin que remontent mes souvenirs d'enfance, le visage émacié, éclairé d'un œil brillant, de ce chevalier à la triste figure, m'a accompagné. Sur les écrans noir et blanc de notre première télévision, il était, naguère, le seul (à part les courses de ski, dont j'étais fou, mais que j'allais plutôt voir sur place, avec mon père) à retenir mon attention sur la TSR, alors que les débats politiques français, déjà, me fascinaient. Pourquoi ? Mais, simplement, parce qu'il DONNAIT DU SENS à l'actualité. Non seulement la rigueur, qui est chez lui une seconde nature, mais l'immédiateté du contexte, possible seulement grâce à sa vaste culture, notamment historique, et quelques milliers de lectures. Mettre en lien me semble l'une des fonctions cardinales du métier.

     

    Fin d'enfance, début d'adolescence : Temps présent. À l'époque, grande émission. Noir blanc. Des sujets, notamment de société, dont je n'avais jamais entendu parler. Car si j'ai eu, notamment sur le plan littéraire, des profs éblouissants, ils étaient assurément moins révolutionnaires face au non-dit de leur propre époque que pour décrypter Racine, ou Rimbaud, Francis Ponge ou René Char, Sophocle ou les fragments présocratiques. En ces années, au fond sublimes, à la fois lumière et cécité, connaissance et innocence, champ du possible et Murailles de Chine, le rendez-vous de Temps présent était une fenêtre sur le monde. Hors cela, je ne vivais et n'existais que pour les livres. Ce qui, d'ailleurs, me comblait.

     

    Je me souviens des premiers sujets sur l'homosexualité, sur les travailleurs immigrés en Suisse, le statut de saisonnier, je vous parle là d'il y a quarante ans. L'homme qui organisait cela, le rendait possible, c'était Claude Torracinta. Et les équipes, autour de lui. Cette fonction d'éveil et d'ouverture, il l'a gardée toute sa vie. Aujourd'hui, dans les trois ou quatre minutes de dialogue improvisé, entre lui et moi, complicité totale, construction à deux d'une séquence en direct, relances instinctives pour faire avancer l'information, c'est en lui le même souci d'ouverture et d'intelligence que je retrouve, à chaque fois.

     

    Merci, Claude. Et continuez à venir souvent nous éclairer.

     

    Pascal Décaillet