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Sur le vif - Page 772

  • La Confrérie des Evanescents

     

    Sur le vif - Vendredi 21.11.14 - 17.05h

     

    Un conseiller d’Etat chargé des transports qui parle trop, dit tout et n’importe quoi, oublie de réfléchir avant de s’exprimer. Un ministre de la police qui se tait. Un président qui rase les murs. Diaphane collégiale ! Dont le chœur serait aphone, la vocation muette. A l’instar de ces carrés de prière, aux heures pâles des matines, en pulsionnelle attente d’apparition. Oui, le gouvernement a donné cette semaine l’impression d’un couvent de l’armée morte, en deuil de son propre épuisement. Comme si, au cinquième seulement d’un mandat qui apparaît comme interminable, il avait déjà atteint l’extrémité de son souffle, le Finistère de ses capacités.

     

    Pour en être déjà là, à ce degré d’épuisement dans l’ordre de la cohérence et de la lisibilité, c’est tout de même un peu tôt dans la législature. Dans l’affaire des TPG, la communication a été catastrophique. Le ministre des transports évoque mardi soir, dans la veillée d’armées de la grève, une présence de la police sur laquelle il n’a manifestement aucune garantie de son collègue chargé de la sécurité. Donc, soit il s’est avancé seul, sans couverture, a tenté le bluff, a tout raté. Soit, on lui avait donné un semi-feu vert, et on l’a laissé tomber, ce qui en dit long sur l’estime qu’on lui porte du côté des deux ministres radicaux.

     

    Il est vrai que chez ces gens-là, extatiques du conciliabule, on n’aime pas trop les collègues trop bavards. On est excédé par son sens de la fête, avec lui c’est tous les jours la Saint-Martin, le cochon qu’on étripe, la joie de vivre, l’omniprésence sur les réseaux virtuels. De quoi rendre cinglés le Grand Horloger de la machine d’Etat, et l’éternel jouvenceau surdoué qui ne se calmera que lorsqu’ il sera commissaire européen. Autant l’autre PDC, qui fut six fois Maire et maintes fois père, est immédiatement, dès le premier jour, entré dans la tonalité qu’on attendait de lui, autant le vociférant motard déroute. Il est vrai que cette semaine, en matière de perte de contrôle et de sortie de piste, il a fait fort.

     

    L’une des fonctions magnifiquement perverses d’un conflit social est de servir de révélateur (oui, comme en médecine) des dysfonctionnements du pouvoir en place. En l’espèce, elle fut accomplie au-delà de toute espérance. Rarement gouvernement n’aura aussi mal réagi à une grève dont tout le monde admettra qu’elle était, somme toute, plutôt bénigne. Tout le monde, à part le PLR, dont la belle jeunesse aurait intérêt, avant de dire et d’écrire n’importe quoi, à se renseigner un peu sur le tragique dans l’Histoire. Car enfin, ces jeunes encravatés qui voudraient déjà tant ressembler à leurs aînés, entrer dans la carrière, que savent-ils du travail et de sa souffrance, des rythmes et des cadences, de l’organisme qui vieillit dans un corps d’homme ou de femme, encore et toujours sollicité pour demeurer à l’ouvrage ?

     

    En résumé, on nous promet la police, mais elle ne vient pas, Dieu merci d’ailleurs. On nous promet le service minimum dès 06.30h, mais il n’y en aura aucun. L’orage passé, on cherche lâchement des coupables, en laissant entendre que l’échelon de responsabilité ne serait pas celui du gouvernement, mais celui de la présidente de la régie. Déjà, cette dame semble pouvoir faire ses valises. Déjà sans doute, lui a-t-on désigné un remplaçant. Un homme du sérail. Un fidèle. Un qui ne fera pas d’histoires. Il y en a, comme cela, deux ou trois, dans les carnotzets de la Confrérie, parfaitement interchangeables, d’une régie l’autre, pour parodier Céline. Nous ne sommes certes pas encore à Sigmaringen. Mais l’exil intérieur, déjà, habite le royaume. Et il nous reste quatre ans avec cette équipe-là. Putain c’est long, quatre ans. Comme un chemin de pénitence dans la friche du couvent.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Grève TPG : le PLR perd les pédales

     

    Sur le vif - Mercredi 19.11.14 - 16.20h

     

    Coïncidence : le jour même où nombre de Genevois enfourchent leur vélo, le PLR s’emploie à perdre les pédales. Dans l’affaire de la grève des TPG, on peut lire, çà et là, sous les plumes érectiles de certains membres de ce parti, des propos dont les intonations rappellent allègrement les très riches heures de MM Cavaignac ou Thiers, orfèvres dans l’art de la répression. De la présidence du parti, dont les accents soudainement virils abreuvent nos sillons, jusqu’à de jouvencelles voix, tout occupées à plaire à leurs conseillers d’Etat, ah plaire à François, plaire à Pierre, plaire à « Monsieur Longchamp », comme l’appelait naguère Béatrice Fuchs, dans la phase antérieure à celle de sa révolte, disons sa période rose.

     

    On pensait que le propos premier de cette belle journée ensoleillée serait la chronique d’une grève. On entendait déjà les accents de l’Internationale génialement revisitée par Stéphane Grappelli (Milou en Mai) ravir nos mémoires. Las ! Nous n’eûmes le spectacle politique que de l’obédience de l’Entente, principalement PLR, devant le quatuor majoritaire qui la représente au Conseil d’Etat. Hier soir, le ministre des transports annonce tambours battants à « Genève à chaud » l’intervention de la police, tout en assurant le service minimum dès 06.30h. Résultat : ni police (nul ne s’en plaindra), ni service minimum, puisque ce fut au final le service zéro, tout étant bloqué.

     

    On se dit, dans tels cas, que la parole ministérielle mériterait d’être sept fois retournée, ainsi qu’il en va dans l’adage biblique. Au reste, le collègue ministre de la police était-il au diapason ? Et quand bien même il le fût, la police, dont on connaît à Genève la tendance prétorienne, aurait pu se refuser à intervenir contre des collègues de la fonction publique. Le beau gouvernement que voilà : un ministre qui dit ses transports tout haut, à qui manque une confidente racinienne, une sorte de Céphise, à l’aube des nuits cruelles. Un autre, chargé de la police, qui a l’habileté de se taire. Un président qui s’enrobe de silence et d’absence. Ça n’est plus un collège, c’est la confrérie de l’évanescence.

     

    Reste que le peuple genevois, par deux fois, a voté une baisse de tarifs. Que pour se venger, le Conseil d’Etat a voulu punir les usagers et les TPG par des baisses de prestations, des suppressions de postes et des licenciements. Que cette manière de faire, mesquine, suinte l’arrogance et surtout la défensive. Que la grève est dûment prévue dans notre ordre légal, et n’a strictement rien « d’anti-démocratique ». Enfin, que les petits valets et les petits laquais de leurs ministres gagneraient à s’affranchir, se durcir le cuir, se mesurer par l’opposition plutôt que par la servilité à leurs maîtres. Tout le reste n’est que catalogues de prestations ou nouvelles lignes de trams, sujets assurément captivants, mais que vous trouverez en d’autres chroniques, sous d’autres plumes, érectiles ou non.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les gros jaloux face au succès des initiatives

     

    Sur le vif - Dimanche 16.11.14 - 17.16h

     

    La mode, dans les cercles, est de conspuer les initiatives. Il y en aurait trop, elles fuseraient dans tous les sens. Il s’agirait impérieusement de les limiter. En restreindre le droit de dépôt. Contrôler et censurer sévèrement leur contenu. Les invalider sans hésitation, dès qu’elles viendraient à contrevenir à cette théologie externe à notre périmètre citoyen, à laquelle on donne le nom de « droit supérieur ». Voilà ce que veulent nous concocter une foule de beaux esprits, parlementaires fédéraux, juristes, juges de touche du convenable, éditorialistes de la SSR (ah, Roger, plaire à Roger !), de Tamedia ou de Ringier (ah, plaire à Jacques, ou Frank A, ou Michael). Bref, tous ceux que froisse cette éruptive vitalité démocratique surgie d’en bas. Parce qu’elle les surprend, les devance, les irrite, les exaspère. Il est vrai qu’il est vexant d’avoir un adversaire ayant toujours un coup d’avance. Alors, si on pouvait le disqualifier, le sortir du jeu, vous pensez, quelle aubaine !

     

    Du coup, ils n’ont plus qu’un but : se débarrasser de cet insupportable poil à gratter qui chatouille et dilate la parfaite géométrie des lois qu’entre eux, ils nous concoctent. Faire passer pour sale, déplacé, hors sujet, les initiatives et les référendums. Il y en a même qui poussent le culot jusqu’à proclamer que la démocratie directe « nuit aux institutions », alors qu’elle en fait intrinsèquement partie, dûment prévue dans notre ordre constitutionnel. Bref, désorientés par le nombre des initiatives, leur succès grandissant (ce qui est très nouveau, récent, et pourrait prendre encore de l’ampleur), ils ne savent plus quoi inventer pour se débarrasser du monstre. Si ce n’est, justement, le traiter en monstre ! Le dénigrer. Le rabaisser. Le ravaler à l’ordre de « l’émotionnel », comme si leurs débats à eux étaient gouvernés par la parfaite algèbre de la raison.

     

    La vérité, c’est que la démocratie directe gagne du terrain en Suisse. Entre 1949 (initiative sur le retour à la démocratie directe, justement) et 1987 (initiative dite de Rothenthurm, sur la protection des marais), seul un texte était passé, celui accepté en 1982 visant à « empêcher des abus dans la formation des prix ». Aucune initiative agréée par le peuple et les cantons en plus de trente ans. Et une seule en trente-huit ans ! A l’époque, elles venaient souvent de la gauche, les initiatives, et jamais on n’entendait cette dernière se plaindre de leur foisonnement. Aujourd’hui, soyons clairs, c’est le succès grandissant de textes déposés par l’UDC qui rend fou de rage le reste de la classe politique. Ils en ont le droit, mais au moins qu’ils nous avancent les vraies raisons de leur colère, plutôt que venir nous débiter leurs grandes leçons sur la conformité du droit supérieur. Ils ne font plus de la politique, ils nous font de la morale : la morale des perdants.

     

    Les initiatives populaires fédérales nous permettent, depuis 1891 (une année-clef de la Suisse moderne, celle de la fin de la totalité radicale au Conseil fédéral, avec l’entrée du premier catholique conservateur, le Lucernois Joseph Zemp), de faire surgir au plan national un thème politique ignoré, ou laissé pour compte, ou sous-estimé par les élus. Double vertu : d’abord, les initiatives privilégient les thèmes sur les personnes ; ensuite, elles ont pour théâtre d’opérations le pays tout entier, jouant en cela un rôle majeur dans la conscience politique nationale.

     

    Oui, les initiatives, nous arrachant régulièrement à nos seules préoccupations cantonales, nous hissent vers l’horizon confédéral, puisque c’est là qu’elles se jouent. Acceptation du moratoire nucléaire en 1990, de l’initiative des Alpes en 1994, de l’adhésion à l’ONU en 2002, de la lex Weber en 2012, du texte de Thomas Minder sur les rémunérations abusives en 2013, du renvoi des criminels étrangers en 2010, de l’initiative contre l’immigration de masse le 9 février 2014. Liste non exhaustive. Que de thèmes que nous n’eussions jamais empoignés si ce droit fondamental n’existait pas !

     

    Les initiatives populaires fédérales, depuis 123 ans, privilégient les thèmes et les combats d’idées (peut-être, pour cela, font-elles peur à ceux qui préfèrent la mise en valeur des personnes, avec des visages, si possible le leur, sur des affiches ?). En plus, elles élargissent notre champ d’attente politique, permettant à plus de quatre millions de citoyennes et citoyens de se prononcer plusieurs fois par an sur des sujets d’envergure nationale. Donc, de vivre entre Suisses (et non seulement entre Genevois, Valaisans, Vaudois, Zurichois) notre citoyenneté active. Fantastique vertu, qui doit nous amener à rejeter sans appel les gesticulations des cercles, corps intermédiaires et beaux esprits visant à les brider, les opprimer, en réduire le champ d’action. Voilà les vrais enjeux, il fallait une fois le dire.

     

    Pascal Décaillet