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Sur le vif - Page 1090

  • Jean Romain joue avec le feu

     

    « Le port de tout costume religieux est interdit sur la voie publique à toute personne ayant un domicile ou une résidence dans le canton de Genève, ou y exerçant une activité régulière. Les accessoires religieux ne sont pas concernés par cette interdiction ». Au nom de l’universalisme républicain opposé à la résurgence des communautarismes, le député radical Jean Romain, par ailleurs nouveau parlementaire crédible au Grand Conseil genevois, joue avec le feu. « Même moi, je n’aurais pas osé », déclare Oskar Freysinger.

     

    Il existe, à Genève, depuis le Kulturkampf et Antoine Carteret (seconde partie du dix-neuvième siècle), une solide tradition d’anticléricalisme dans une certaine frange des radicaux. Consciemment ou non, Jean Romain renoue, de facto, avec cette tendance qu’on croyait révolue, ou juste cantonnée à la garde noire de certains conseillers d’Etat. Depuis la loi de Séparation de 1907 (deux ans après la France), Genève est une République laïque, ce dont nul ne se plaint, en tout cas pas le soussigné. L’Etat ne s’y occupe pas de religion, tout au plus fixe-t-il des cadres pour que ces dernières puissent cohabiter dans le respect mutuel. Bref, les choses se passent bien, chacun peut s’exprimer, le croyant, l’agnostique, l’athée, sans compter l’excellence d’un dialogue interreligieux favorisé par la présence du Conseil œcuménique des Eglises.

     

    C’est donc bien mal connaître Genève que de chercher à y rallumer des querelles dont personne ne veut. Il y a, dans tout Genève, au maximum une dizaine de prêtres en soutane, quelques bonnes sœurs qui ne font strictement de mal à personne, des popes orthodoxes d’une belle qualité intellectuelle à Chambésy, de rares rabbins, un imam. Punkt, Schluss. Les quelques burqas qu’on y aperçoit, en août, ce sont des touristes, ne tombant donc pas sous le projet de loi de Jean Romain. Dès lors, à quoi bon, au nom d’un « universalisme » mathématique, où tout est pris en valeur absolue, sans la moindre ductilité d’approche, chercher noise à quelques hommes et femmes de paix pratiquant, dans le canton, la religion qu’ils ont choisie, et vêtus selon leur rite ? Toutes choses ne gênant personne, à part Jean Romain lui-même. Un projet de loi incompréhensible. Surtout de la part d’un esprit de cette qualité.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Avec Loichemol au Kosovo, décembre 1998

     

    Que les anges du bizarre habitent nos vies...

     

    Au théâtre Dododna de Pristina, capitale du Kosovo, ce lundi 7 décembre 1998, 19h, aucun des spectateurs n’avait ôté sa doudoune : la température, dans la salle, ne dépassait pas 8 degrés ! Dans une odeur de foin et de bétail qui m’avait rappelé les salles paroissiales de nos villages valaisans, on n’y jouait rien moins que « Les Chaises », de Ionesco, et « Ubu Roi », de Jarry. Deux pièces mythiques du répertoire français du vingtième siècle, un lundi soir, dans un pays en guerre ! Nous étions là, avec Hervé Loichemol, dans le public, éblouis par la motivation de cette petite troupe, par le metteur en scène, Faruk Begolli, et les acteurs, Florie Bajoku et Luan Jatsa, l’un et l’autre diplômés de l’Ecole de théâtre de Pristina.

     

    C’est vrai, en apprenant lundi la nomination de Loichemol à la Comédie, c’est la folle image de cette soirée qui s’est imposée à moi. L’inconfort de ces sièges. La turquerie des toilettes. La buée qui sortait de la bouche des acteurs, sur la scène. Des enfants de dix ans qui avaient traversé Pristina seuls, à pied, sans leurs parents, dans la nuit de décembre, pour venir voir jouer deux grands auteurs français, dont l’un d’origine roumaine. Et Loichemol, natif de Mostaganem. Et, dans la rue, des Roms, des Serbes, des Macédoniens, des Albanais. Et, dans la tête de Loichemol, en constante référence, le souvenir de son séjour à Sarajevo, Bosnie.

     

    Dans cette minuscule salle de Pristina, ce soir-là, était passé comme un « ange du bizarre ». Lié à la guerre, à l’étrangeté même du Roi Ubu, au froid de canard, à l’apartheid absolu entre « Théâtre albanais » et « Théâtre serbe », en alternance sur des planches aussi vermoulues que la situation politique du moment : un monde, doucement, était en train de s’effondrer.

     

    L’univers de Loichemol, dans sa création dramaturgique, c’est justement cet « ange du bizarre ». On aime ou non, certains détestent. Même les grandes causes qu’il embrasse, il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il les attaque par le décalage de la fiction. Puisse-t-il, à la Comédie, fuir le premier degré de la militance au profit de la fermentation inhérente à toute œuvre digne d’être montée. Car même si, étymologiquement, le théâtre « montre », il n’est pas dit qu’il soit là, avant tout, pour démontrer. Les « Lehrstücke » de Brecht, par quoi ont-elles survécu ? Par l’objet démontré, ou par le ressort dramaturgique contenu dans l’écriture même de l’un des plus puissants auteurs de la littérature allemande ?

     

    Après Benno Besson, Claude Stratz, Anne Bisang, c’est une nouvelle ère qui va s’ouvrir. Puisse-t-elle nous surprendre, nous séduire. Nous heurter. Ce nouveau directeur, puissions nous le haïr. Ou l’aimer. Sentir qu’il nous parle. Puisse le verbe continuer d’habiter ce lieu où souffle l’esprit.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Salaud de peuple

     

    Sur le vif - Mardi 15.06.10 - 12.53h


    « Le show politique se poursuit » : étrange titre pour qualifier un débat politique démocratique, sous la Coupole fédérale ! Ce titre, c’est pourtant celui d’un communiqué de presse du parti libéral-radical, tombé en fin de matinée, où les très sages, très cérébraux, très raisonnables responsables du Grand Vieux Parti qui a fait la Suisse et leurs néo-cousins patriciens paniquent totalement à l’idée que l’Accord Suisse – Etats-Unis sur l’UBS puisse être soumis au référendum facultatif.

     

    C’est vrai, le peuple, c’est sale. Et ça pue. Ca vient vous foutre en l’air votre si belle ouvrage parlementaire. Vos navettes. Vos nuances. Vos conférences de conciliation. Vos négociations secrètes avec les milieux bancaires. Avec l’Oncle Sam.

     

    De fait, l’idée même que le souverain ultime de ce pays puisse être amené à se prononcer sur un compost aux essences si munichoises, ne manquerait pas d’un certain sel. Le sel qui vient d’en bas. Le sel noir de la colère. Celui qui amène le peuple, un certain dimanche, à oser le mot que tant de corps intermédiaires ont oublié : le mot non.

     

    Pascal Décaillet