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Sur le vif - mercredi 26.05.21 - 16.56hCe mercredi 26 mai 2021 restera dans l'Histoire de la Suisse contemporaine comme un jour de salut par la clarification. Entre notre pays et l'Union européenne, deux entités parfaitement respectables par ailleurs, trois décennies d'extrême complication devaient trouver une issue, de même que le Noeud Gordien doit être tranché. Depuis aujourd'hui 16h, c'est chose faite : le Conseil fédéral tire la prise. Il enterre l'Accord cadre. Et il a mille fois raison.Je suis le dossier Suisse-Europe depuis plus de trente ans. J'ai accompagné Jean-Pascal Delamuraz dans plusieurs de ses voyage, lorsque j'étais correspondant à Berne, j'ai couvert avec une rare intensité, dans quasiment tous les cantons et dans la Berne fédérale, la votation du 6 décembre 1992 sur l'Espace économique européen. J'ai couvert Eurolex, les bilatérales, les initiatives de l'UDC, bref j'ai vibré plus de trente ans sur la question.J'aime la Suisse, mon pays. Et j'aime l'Europe, notre merveilleux continent. J'aime son Histoire, ses langues, sa musique, sa poésie, sa culture. En Provence, je me sens chez moi. En Prusse, je me sens chez moi. En Toscane, je me sens chez moi.Alors, quoi ? Alors, restons calmes. Respirons. Voyons large. Félicitons-nous d'être de ce continent, et d'avoir ces voisins-là. Les Français, les Italiens, les Allemands, et tous les autres, sont nos amis. Notre refus d'aller dans la machine institutionnelle de Bruxelles n'empêche pas cet élan de fraternité continentale, loin de là.Le Conseil fédéral a raison de tirer la prise. Notre relation avec l'Union européenne, ni adhésion ni voie solitaire, beurre et argent du beurre, était devenue insupportable de complexité. Déjà l'écheveau de Jean-Pascal Delamuraz, auquel je croyais et auquel j'avais dit oui le 6 décembre 1992, était beaucoup trop touffu. Dévoré par la pieuvre des fonctionnaires ! Dépourvu de la nécessaire clarté en politique dont parle si souvent l'un des hommes que j'admire le plus, Pierre Mendès France.Le Conseil fédéral arrête les frais, c'est une bouffée d'air. Ne précipitons rien. Restons calmes. Demeurons aimables avec nos partenaires. Et prenons le temps, entre nous, de savoir exactement ce que nous voulons. Ensuite, peut-être, nous donnerons un mandat à nos diplomates. Et puis, peut-être pas. La Suisse est un grand peuple, une démocratie à l'écoute des ses citoyennes et citoyens. Et l'Europe est un grand continent, qui n'a pas à rougir de son rôle dans l'Histoire du monde. C'est avec ces voisins-là que nous devons, sans nous énerver, construire quelque chose de solide pour l'avenir. Il nous appartient, entre nous, à l'intérieur du débat politique suisse, d'en définir les contours, avant de donner le moindre signal à l'extérieur.Le Conseil fédéral, aujourd'hui 16h, a pris son épée. Et il a tranché le Noeud Gordien. Ca fait du bien. On respire. La Suisse ne va pas s'écrouler, l'Europe non plus. Ne nous laissons plus jamais impressionner par les surexcités, les pistolets sur les tempes. Soyons des citoyennes et des citoyens libres, cultivés, ouverts aux autres peuples, avides de savoir et de connaître. Lisons Thomas Mann, lisons les poèmes de Pasolini, lisons la poésie grecque, ancienne et contemporaine. Pénétrons-nous de la musique de ce continent. Arrachons l'idée européenne aux fonctionnaires et aux pusillanimes. Soyons citoyens. Cheminons vers la connaissance. Cheminons, comme Heidegger nous y invite, vers la langue, et vers le langage. C'est cela, en Suisse et en Europe, l'enjeu de notre destin.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif
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Que la droite assume ses valeurs !
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 26.05.21
Nous sommes dans une démocratie, nous n’allons pas nous en plaindre. Nous n’avons ni homme fort, ni dictateur, ni sauveur providentiel. Faire de la politique, en Suisse, n’est pas réservé aux élus, surtout pas ! C’est le lot de toute citoyenne, tout citoyen. Les patrons c’est le peuple, c’est nous. Et, comme nous sommes d’avis différents sur les moyens d’assurer le bien de la Cité, nos visions s’entrechoquent, nous nous frottons, nous nous engueulons : rien de plus sain ! Dans les régimes autoritaires, on parle assez peu, on se contente du murmure en catimini, on rase les murs, on a peur. En Suisse, on a le droit de s’exprimer, il est venu lentement à travers les siècles, il est, comme chez nos voisins, le fruit d’une conquête. Aux générations qui nous ont précédés, nous devons notre reconnaissance. Il ne faut pas croire que ces droits sont arrivés tout seuls.
Mais alors, pour le moins, que chacun d’entre nous assume ses positions. Qu’il en ait le courage ! Ne venez pas me parler de neutralité, ça n’existe pas ! D’ailleurs, nous avons en Suisse une exemplaire démocratie directe, le monde nous l’envie, elle nous propose quatre fois par an de dire oui ou non à différents projets, eh bien assumons nos oui, ou nos non. Si on est à gauche, ayons le courage d’être à gauche. Si on est à droite, défendons les valeurs de la droite. Hélas, trois fois hélas, dans le second cas de figure, ça ne fonctionne pas ! Nous avons affaire, au sein de la droite suisse, à part à l’UDC, à une droite qui semble totalement timorée à l’idée d’affirmer ce qu’elle est, d’où elle vient, ce que fut son Histoire, où sont ses fondamentaux. Une droite qui copie la gauche. Une droite qui reprend servilement le jargon climatiste, le langage des Verts, leurs tics verbaux, leur liturgie dans l’ordre de la désignation, de la nomenclature. Bref, une droite qui n’ose pas.
Pour notre démocratie, c’est une catastrophe. Le combat des idées a besoin de clarté, de courage, de précision dans le contour des antagonismes. Il a besoin d’hommes et de femmes qui n’ont pas peur du conflit, ni des meutes de petits délateurs sur les réseaux sociaux, qui s’y entendent à merveille pour détruire une réputation. Il a besoin des Verts, et, s’ils y tiennent, de leur langage. Et il a tout autant besoin, en face, d’hommes et de femmes courageux, pour dire aux Verts : « Nous sommes en désaccord total avec vous, votre sabir ne vaut pas un clou, vous ne nous impressionnez pas, votre mode passera, nous luttons pour d’autres valeurs ». La démocratie, c’est cela ! C’est le courage de s’opposer ! Et c’est, surtout, celui d’aller à l’encontre du courant dominant du moment, celui devant lequel tout le monde se prosterne : les médias, les éditorialistes, le causeurs, les chroniqueurs, les petits bavards des réseaux, et jusqu’à certains humoristes, totalement affidés au pouvoir, eh oui, ça existe ! La démocratie, c’est l’antagonisme. Ça passe par la puissance d’une solitude. Pas par l’intégration à une meute.
Pascal Décaillet
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Arvo Pärt, la musique de la vie
Sur le vif - Lundi 25.05.21 - 15.03hEnfant, j'accompagnais régulièrement mon père, ingénieur en génie civil, le samedi, sur des chantiers qu'il avait en Valais, des tunnels de montagne. Il avait rendez-vous avec le chef de chantier, nous nous engouffrions dans la roche, il y avait de l'eau, de la boue, les gouttes suintaient de partout dans la pierre, c'était saisissant. Je me souviens aussi qu'il y avait des anfractuosités avec un sifflement d'air, comme du vent qui aurait réussi à s'immiscer dans les galeries.C'est exactement à cela que j'ai pensé hier soir, en écoutant sur Mezzo le prodigieux concert donnant cinq oeuvres du compositeur estonien Arvo Pärt, né en 1935. Enregistrement le 20 octobre 2018, Philharmonie de Paris, Talinn Chamber Orchestra, Estonian Philharmonic Chamber Chor, le tout dirigé par le grand chef estonien Tonu Kaljuste.Je vous invite, si vous ne la connaissez pas, à découvrir la musique d'Arvo Pärt. C'est l'un de nos plus grands contemporains. On le qualifie de "minimaliste", et c'est vrai que son style est le plus épuré qu'il nous soit donné d'entendre. Il joue de quelques accords, rejette toute fioriture, toute modulation, nous donne à écouter la note, dans une totalité qui rappelle le plain-chant grégorien. Parfois, cet effet qu'Arvo Pärt appelle le style "tintinnabuli", et qui simule le son d'une cloche, ou de clochettes. Des gouttelettes aussi, peut-être.La note s'étend dans l'immensité de ce qui pourrait bien être une grotte de montagne. Un tunnel en construction, d'où perlent les gouttes, de partout. C'est une musique de barrage, dans ses entrailles. C'est une musique de cathédrale. Une musique d'une incroyable modernité, contemporaine à nos angoisses, nos aspirations à l'unité retrouvée.Hier, sur Mezzo, c'étaient Fratres, puis le Cantus in memoriam Benjamin Britten, puis Adams Lament, puis Salve Regina, puis son fameux Te Deum.Cet univers sonore nous amène dans un autre monde. Ou plutôt non : dans ce monde-ci, le nôtre, dans ce qu'il a d'élémentaire, d'aérien, de liquide, de minéral. Des tuyaux d'orgues, en plus simple, avec comme seul jeu celui de la vie et de la mort. La vie, avec ses pulsations, son rythme, le temps qu'elle prend. Comme Jean-Sébastien Bach, c'est une musique pour les vivants. La musique de la vie.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif