La Prusse et la Saxe ont voté, le résultat est clair : une percée sans précédent de l'AfD, le parti qui défend les oubliés du miracle allemand, prône la préférence indigène à l'emploi et à l'aide sociale, toutes choses honnies et immédiatement couvertes de la pire des opprobres par nos chers observateurs de la vie politique.
Il faut dire que ces derniers, depuis la fin de la Guerre, ne se sont pas exagérément passionnés pour la question allemande. Ils nous ont parlé nuit et jour du Vietnam dans les années 60 et 70, puis du Nicaragua, puis de l'Amérique latine. Ce que se passait dans les deux Allemagnes, entre 1949 et 1989, ne les intéressait tout simplement pas. Il est vrai que Bonn n'était pas la plus excitante des capitales. Quant à la DDR, personne, ici, n'a jamais éprouvé le moindre intérêt pour ce qui s'y passait. On la tenait juste pour un satellite de l'Union soviétique, en oubliant sa nature profondément allemande. On omettait, en passant, de souligner symétriquement la même obédience de l'Allemagne de l'Ouest par rapport aux États-Unis d'Amérique.
Impréparation intellectuelle, donc, pendant des décennies. Et même depuis la chute du Mur (1989), et l'ingestion, avec une incroyable vulgarité, de l'Allemagne de l'Est par le glouton Kohl, nos beaux esprits applaudissaient le Chancelier rhénan, totalement insensibles à l'humiliation qu'il faisait subir aux Prussiens et aux Saxons, Car, si ces derniers se réjouissaient de quitter le système communiste, ça n'était pas pour accepter le rachat pur et simple de leurs identités nationales par les entreprises capitalistes de l'Ouest.
Le glouton Kohl, en négligeant complètement la question de l'identité nationale à l'Est de son propre pays, a posé une bombe à retardement. Sa fille spirituelle Angela Merkel, en ouvrant inconsidérément les frontières à l'automne 2015, a commis la deuxième acte, la deuxième faute : celle de sous-estimer totalement le besoin de préférence nationale, dans les domaines de l'emploi et de l'aide sociale, dans des populations cruellement touchées par le tournant industriel, la redéfinition des métiers. Nombre de ces déshérités de la première puissance économique continentale peinent à comprendre que tant d'aide et d'énergie aient pu êtres déployées pour des personnes extérieures à la Communauté allemande (Gemeinschaft), plutôt qu'à des citoyennes et citoyens allemands, abandonnés dans la précarité.
Alors, quoi ? Alors, l'AfD, en Prusse et en Saxe, va continuer de monter. Parce que ses électeurs posent une double exigence, à la fois sociale et nationale, enracinée dans les vertus de solidarité et de cohésion, que Mme Merkel n'entend pas. Le problème no 1 de l’Allemagne, c'est l'Allemagne elle-même : ses souffrances tues, ses oubliés de la croissance, ses millions d'âmes jetées là, en proie au nihilisme. Alors qu'il y aurait tant à faire pour leur dessiner, comme à l'époque des grandes lois sociales de Bismarck, la possibilité d'une fierté allemande, partagée et fraternelle.
Au pays qui engendra Martin Luther et Jean-Sébastien Bach, c'est cette primauté du Verbe et de la juste tonalité qu'il s'agit de réinventer. Aujourd'hui, hélas, nous en sommes loin.
Pascal Décaillet