Sur le vif - Dimanche 23.12.18 - 11.11h
Vous ne les compterez plus, dans les semaines et les mois qui viennent, les interventions, dans vos journaux, du ban et de l'arrière-ban des puissants penseurs français - ceux qui se succèdent depuis plus de quarante ans sur les plateaux TV - pour vous affirmer que l'aspiration des gilets jaunes à une forme de démocratie directe est une "fausse bonne idée".
Elle pourrait être bonne pour la Suisse, allez reconnaissons qu'elle l'est. Mais en tout cas pas pour la France : vous pensez, le référendum s'associe immédiatement à un plébiscite, l'image de Louis-Napoléon, alias "Le Petit", surgit dans les mémoires. On nous parle même, ce matin, dans la presse dominicale orangée, avec une nuance à toute épreuve, des fantômes d'Hitler et Mussolini.
Eh bien, ma foi, voilà des plumes et des voix qui semblent avoir une profonde estime pour le peuple de France ! A les lire, à les entendre, ce peuple ne constituerait rien d'autre qu'une masse manipulable : vous lui confiez un référendum, c'est en fait un sénatus-consulte du Prince, un plébiscite pour lui dire, par thème interposé, qu'on l'aime ou qu'on le déteste. Le peuple, étant par nature aveugle et stupide, sera dupe de la supercherie, se laissera embarquer, la démocratie thématique passera à la poubelle, on aura juste activé la démarche plébiscitaire, celle qui légitime des régimes forts, confirme le caractère allemand de la Sarre, par exemple.
On peut en discuter, sur le fond. Et en effet, la France devra se montrer très inventive pour mettre au point des mécanismes de démocratie directe qui répondent à son génie propre, à son Histoire, radicalement différente du fédéralisme suisse. Mais la manière dont ces têtes pensantes, Frères Duhamel et Compagnie, éradiquent d'emblée toute chance de réussite pour un essai de démocratie directe thématique en France (voter sur des sujets, et pas seulement pour élire des personnes), en dit infiniment long sur la mentalité d'élite de ces stars de plateaux TV, profondément acoquinées avec tout ce que la vie parisienne compte de pouvoirs, de gauche comme de droite.
La vérité, c'est eux. La connaissance, c'est eux. La vision sur les nécessités du peuple, c'est eux. Le peuple, à leurs yeux, n'est qu'une bête à cornes, une brute pompière, tout juste bonne à payer ses taxes et ses impôts, s'abrutir le soir devant des émissions faciles, mettre deux heures pour aller au travail et en revenir, en voulant bien payer sans rechigner la surtaxe pour faire bien, à Paris, dans l'image mondiale qu'on donne dans la lutte pour le climat.
Eh bien, les Frères Duhamel & Co se trompent lourdement. Le peuple de France n'est en rien constitué d'imbéciles. C'est un grand peuple, patriote, attaché à une nation deux fois séculaire, celle-là même qui, proclamée République en 1792 au moment de Valmy, a osé défier, avec ses Soldats de l'An II, l'Europe entière des têtes couronnées. Le peuple des combats, dans toutes les guerres. Le peuple des souffrances. Mais muni d'une conscience nationale qui, aujourd'hui, a immensément faim et soif d'une démocratie nouvelle, élargie. Pouvoir voter directement sur des sujets ! Qui seront, je suis prêt à le parier, principalement des sujets régionaux et locaux. Mais aussi, sur la continuation de l'appartenance à l'Union européenne. Mais encore, sur l'Euro. Ou encore, sur la régulation des flux migratoires.
C'est précisément cela que nos chères élites cosmopolites, les BHL et les Cohn-Bendit, et tous les penseurs mondialistes des salons parisiens, et les Duhamel Brothers, ne veulent à aucun prix. Parce que la vérité, c'est eux qui la détiennent, dans leur Temple. Pourquoi, mais pourquoi diable, iraient-ils la partager avec les Gueux ?
Pascal Décaillet