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  • Metin Arditi : le père retrouvé

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    Notes de lecture - Samedi 22.04.17 - 18.17h

     

    168 pages de douceur et d’intelligence, des mots qui sonnent juste, un homme qui écrit sur son père, disparu il y a vingt ans. Un homme qui écrit à son père. Un pont jeté sur un Bosphore, un lien retrouvé, une langue qui revient, le turc, à laquelle un filial hommage est rendu, page 35. Des souvenirs qui remontent, « en écrivant », le fameux effet palimpseste de la mémoire, décrit simplement, à nu, sans recherche d’effets. Ce dernier livre de Metin Arditi est sans doute le premier. Celui dont tout procède, y compris ce qui fut écrit antérieurement : nul travail de révélation, après tout, n’a de compte à rendre à la chronologie, c’est la puissance et le secret de ces 168 pages, le mystère de cette chambre noire.

     

    Est-il possible de raconter son père ? Le faut-il, seulement ? Le narrateur a vécu les sept premières années de sa vie à Istanbul, ville dont il raconte la magie dans la première partie du livre. Le style est simple et clair, les paragraphes courts, aérés, l’écriture est « mise en ordre » de tout un fatras dont elle semble se débarrasser. N’est-il pas question, quelque part dans le livre, de définir « l’esbrouffe » comme l’acte de « s’ébrouer » : éclaircir sa mémoire ? L’enfance stambouliote apparaît comme magique, de l’île des Princes à la bourgeoisie juive, en passant par le « Pitralon », la lotion après-rasage du père, envoûtante pour l’enfant, ou « Madamika », la gouvernante, ou encore le premier contact avec un « Notre Père », dans une église catholique, et la très belle réaction de tolérance du père, quand on lui parle de cette prière, qui n’est pas a priori la sienne. Confluences d’Orient.

     

    Puis, onze années d’internat en Suisse. Le père se fait rare, revient parfois, ne s’épanche pas. Le fils l’admire, de loin, pour sa culture, son savoir-faire dans le métier, sa puissance de travail, bref ce qu’on appelle un père : admirable mais lointain. Il y a, quelque part, une « Mademoiselle Meyer », il y a Tüllin, une soeur qui a vécu avant, morte à l’âge de deux ans, et là, soudain, comment ne pas penser à « L’Autre fille », bouleversant récit d’Annie Ernaux, publié en 2011, exactement sur ce thème d’une aînée inconnue, tue par les parents, arrachée à la vie avant l’arrivée au monde de celui qui raconte le livre ?

     

    Il y a tant d’autres choses, dans ces 168 pages. Le mystère des « balances analytiques », que le père aurait mises au point, des études de physique, des livres allemands en gothique dans une bibliothèque d’Istanbul, des Jeunesses socialistes autrichiennes, un accident de voiture du narrateur à l’âge de dix ans, à l’internat, un acte manqué entre deux hôtels « Waldhaus » dans les Grisons, le fil d’une mémoire pour tout reconstituer, comme la pelote d’une vie, ou des cailloux semés, dans la forêt. Oui, c’est l’histoire d’un garçon qui s’adresse à son père. Sans le sanctifier, comme dans la prière. Mais dans l’émotion de le retrouver. Par la grâce de l’écriture. A lire, sans faute.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Metin Arditi - Mon père sur mes épaules - Grasset - Avril 2017 - 168 pages.

     

  • Mon échelle, mes valeurs

     

    Sur le vif - Vendredi 21.04.17 - 15.58h

     

    D'un bout à l'autre de cette campagne où tout aura été entrepris pour avoir sa peau, François Fillon m'a impressionné. Non par son idéologie (j'ai déjà dit maintes fois mon opposition à son libéralisme économique), mais par son caractère. Contre vents et marées, cet homme a tenu. Je ne l'oublierai pas. J'aime tellement cette solitude de ceux qui se battent, vous ne pouvez imaginer à quel point ça me touche, ce que ça va chercher au fond de moi.

     

    Il y a quelques mois encore, ma considération pour François Fillon était limitée. Il avait été cinq ans le Premier ministre de Nicolas Sarkozy, ce qui ne constitue pas, à mes yeux, la carte de visite la plus éblouissante.

     

    Et puis, il y a eu cette campagne. Toutes ces "affaires", comme par hasard montées contre lui, et lui seul. Autour de lui, toute l’écœurante immensité de la trahison, ce qu'a également dû vivre Benoît Hamon, autre candidat que je respecte pour son cran et sa résistance.

     

    Malgré l'extrême violence de ces vents contraires, François Fillon a tenu. Rien que pour cela, je l'admire. Parce que chez moi, l'échelle des valeurs fait de loin primer le caractère sur l'idéologie. Hier encore, au débat, je l'ai trouvé excellent. Ce matin encore, dans sa déclaration.

     

    Alors voilà, je ne suis pas Français, je n'aurai donc pas à me prononcer dans cette campagne. Mais je tenais à dire, à deux jours du verdict du premier tour, mon admiration pour la ténacité de François Fillon. Ainsi que pour celle de Benoît Hamon, qui lui est pourtant diamétralement opposé, sur le plan des idées. Hamon, un homme que tous, ou presque, ont lamentablement trahi. Un homme seul. Un homme qui sait qu'il risque, dimanche soir, une cuisante défaite pour son camp, sans doute l'une des pires depuis la prise du parti par Mitterrand à Epinay en juin 1971. Il risque le rejet, le grincement des rires, la noirceur humide des rodomontades. Mais jusqu'au bout, il se sera battu. Je lui dis bravo. Il y a, chez cet homme austère et peu taillé pour les effets tribunitiens, une rigueur mendésiste qui ne m'a pas échappé.

     

    Les hommes, les femmes, les événements, les périmètres d'idéologie, sachons les lire et les décrypter à l'aune de l'Histoire, dans la patience de la diachronie, et non dans la seule émotion, la seule émulsion du moment. Bref, lisons Michelet, Tocqueville et Marc Bloch. Et continuons d'aimer la France.

     

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'incroyable machine à fabriquer des rêves

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    Commentaire publié dans GHI - 19.04.17

     

    Par métier, je suis un spécialiste de la politique suisse, et bien sûr aussi genevoise. Mais comme un sacré nombre d’entre nous, la politique française me passionne. A chaque présidentielle, je me laisse prendre. Les débats, je les regarde, juste après avoir mené les miens, sur Léman Bleu. J’aime la politique française, parce que j’aime la France, tout court. Son Histoire, qui m’occupe depuis plus d’un demi-siècle, oui j’ai commencé très tôt. Sa littérature. Ses paysages, si beaux, si variés. La continuité de cette Histoire, depuis des siècles, me fascine. Tout comme l’Histoire allemande. Ou… l’Histoire suisse !

     

    Enfant, j’étais l’un des seuls du quartier dont la famille avait la TV. Nous n’avions, en ce début des années soixante, que deux chaînes : « La France » et « La Suisse » ! Alors, nous regardions de Gaulle, ses numéros exceptionnels, ses jeux de voix, sa gestuelle, c’était impressionnant. Mon premier souvenir électoral est la présidentielle de décembre 1965, première du genre au suffrage universel. De Lecanuet à Tixier-Vignancour, une galerie extraordinaire de personnages. Au second tour, de Gaulle « face » à Mitterrand : les deux plus grandes figures de la Cinquième République ! Hélas, nulle rencontre entre les deux  : nous eussions eu là, entre ces deux hommes qui se connaissaient depuis leur rencontre d’Alger en 1943, le débat du millénaire.

     

    C’est le 28 octobre 1962, sur proposition de Charles de Gaulle et contre l’avis d’une bonne partie de la classe politique, que les Français, par 62,25% des votants, ont accepté par référendum le principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel. Trois ans et deux mois plus tard, premier test grandeur nature, dont je parle plus haut. C’est une incroyable machine à fabriquer des rois, à sécréter des rêves. Tous les sept ans (et, depuis 2002, tous les cinq ans), nos voisins peuvent s’imaginer qu’ils vont pouvoir, par la grâce d’un homme ou d’une femme, réinventer la vie. Il y a un sacre, un état de grâce, puis assez vite le scepticisme, puis la lassitude, et souvent à la fin le rejet. Celui de Giscard, en 1981, avait été d’une rare cruauté, que je juge aujourd’hui, avec le recul, imméritée.

     

    Une machine à propulser des songes. Comme si le choix d’une seule personne pouvait amener à la Révolution des consciences. Il y en eut, des hommes providentiels, dans l’Histoire de France : Bonaparte à son retour d’Egypte (1799), Pétain en 1940, de Gaulle en 1944, puis en 1958, Mitterrand en 1981. Et cette fois, qui ? Franchement je n’en sais rien ! Nous verrons bien. Mais une chose est sûre : même s’il est très à la mode de parler d’une « Sixième République », on pourrait peut-être commencer par rendre hommage à l’extraordinaire solidité de la Cinquième. Née d’un homme d’exception, elle fêtera l’an prochain ses soixante ans. Et se place nettement deuxième, en longévité, derrière la Troisième République (1870-1940). Jusqu’à nouvel ordre, elle fonctionne : après tout, nos amis français ont le choix entre plusieurs candidats, qui s’affrontent. Ils en choisiront un, ou une. Bref, la machine fonctionne. On est encore assez loin de la crise de régime.

     

    Pascal Décaillet