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  • On vote comme on veut !

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 18.01.17

     

    Je vais vous dire une chose : nous sommes des citoyennes et des citoyens libres. Adultes, vaccinés. La politique, c’est nous qui la faisons. Par l’exercice de la démocratie directe, ou en décidant qui nous voulons envoyer siéger dans les Conseils. Les conseillers municipaux, administratifs, les députés, les conseillers d’État, les conseillers nationaux et aux États, c’est nous qui les élisons. Nous sommes la clef de voûte, la pierre angulaire. De nous dépend le destin de nos représentants. Et, beaucoup plus important, celui de nos communes, de nos cantons, de notre Confédération. Ensemble, nous constituons un corps électoral, qu’on appelle, pour faire court, « le peuple ». Il faudrait dire, comme en grec : « le démos ». Entendez le peuple souverain, celui qui vote, qui décide.

     

    Je me permets d’insister sur ces points, parce que nous sommes des citoyens, pas des sujets. Ce sont les élus qui ont des comptes à nous rendre, pas le contraire. Et j’encourage chacun d’entre vous à prendre intimement possession de cette parcelle – certes infime, individuellement, mais indivisible – de pouvoir qui est nôtre. Dans cet esprit, il convient de pousser un gros coup de colère face à certaines tonalités, de la part d’élus, pour nous intimer l’ordre de ce qu’il faut voter. Chacun de nous a certes le droit de tenter de convaincre le plus grand nombre. Mais il y a la manière. Ce qui ne passe pas, c’est de nous seriner, à longueur de campagne, sur tel ou tel sujet, qu’il faudrait à tout prix voter dans leur sens, sous prétexte qu’il n’y aurait pas de plan B.

     

    Il s’agit bien sûr d’une imposture. Prenez RIE III, l’importante votation fédérale du 12 février prochain sur la réforme de l’imposition des entreprises. La majorité de la classe politique genevoise, qui veut à tout prix (à tort ou à raison) faire passer cette réforme, multiplie de façon vraiment lassante, et sans doute contre-productive, les allusions apocalyptiques en cas de non. Il faudrait à tout prix dire oui, sous peine de fin du monde. Rien qu’à cause de ce ton, certains risquent de voter non. Dans notre système suisse, où les gens sont rompus (beaucoup plus que chez nos voisins) à l’exercice de la démocratie directe, on ne réussira pas à convaincre les citoyens en leur posant un revolver sur la tempe.

     

    Non, les Suissesses et les Suisses ont besoin d’arguments, d’intelligence, de respect, de confiance en leur capacité d’entendement. Depuis plus de trente ans, je couvre les campagnes politiques : chaque fois que l’on tente de forcer la main au citoyen, le résultat va en sens contraire. C’était valable le 6 décembre 1992, sur l’Espace économique européen (campagne que j’ai couverte d’un bout à l’autre du pays). Ou encore le 9 février 2014, sur l’immigration de masse. Pour ne prendre que deux exemples. Nous sommes des citoyens. Chacun d’entre nous a un passé, une vision du monde. Chacun est libre de décider comme il l’entend. Chacun vote comme il veut.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Elbe, 1972 : le chemin de lucidité

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    Sur le vif - Mardi 17.01.17 - 16.20h

     

    Adolescent, je passais tous mes étés en Allemagne. L’été 1972, je l’ai passé intégralement sur le Mur de Fer, chez un ancien combattant du Front de l’Est (22 juin 1941 – 8 mai 1945), qui me racontait tous les soirs la guerre en Russie. Lui et moi, dans une VW Coccinelle vert bouteille, nous avons parcouru des milliers de kilomètres en Allemagne du Nord, Basse-Saxe, Schleswig-Holstein, Hambourg, Brême, Lübeck. Régulièrement, nous nous rendions sur le « Sperrgürtel » de la ligne de démarcation, cette très large bande de miradors, barrages antichars, fils de fer barbelé, qui séparait l’Est de l’Ouest. Notre lieu de visite préféré était Bleckede, sur l’Elbe. C’est là, un jour, que nous avons rencontré Genscher, alors ministre fédéral de l’Intérieur de Willy Brandt, qui a conversé avec moi, et m’a signé un autographe, que je garde précieusement dans mon Tagebuch.

     

    Je venais de fêter mes quatorze ans, j’avais déjà fait mes trois premières années secondaires, j’aimais passionnément l’Allemagne et la langue allemande, j’avais découvert Wagner l’année précédente, et vu le « Goetz de Berlichingen » de Goethe à Nuremberg (1971), je connaissais par cœur la Deuxième Guerre mondiale, j’allais à Bleckede, visiter le Mur, comme d’autres vont à la plage : j’adorais ça. Il faut imaginer la propagande de l’époque : nous étions en pleine Guerre froide, on nous présentait ce Mur de Fer comme l’ultime limite, le « limes » (au sens où l’entendait l’empereur romain Hadrien), avant l’autre monde, l’inconnu barbare, l’Empire communiste, celui du Mal.

     

    Je n’en croyais rien. J’étais parfaitement conscient que nous n’étions ni sur le Dniepr, ni sur la Vistule, mais au cœur de l’Allemagne, même si ce Mur séparait officiellement deux pays allemands. Bleckede, l’Elbe, c’était simplement la frontière historique entre la Basse-Saxe et le Mecklenburg, donc entre le monde saxon et l’univers prussien. Une vraie ligne de fracture interne à l’Histoire des Allemagnes, beaucoup plus importante que d’avoir été, de 1949 à 1989, un segment du Mur de Fer. Les occupants anglo-américains et soviétiques sont partis, les réalités de la Vieille Allemagne demeurent, les faits sont têtus, les vraies frontières, coriaces.

     

    A l’âge de 14 ans, je n’imaginais pas que les Allemagnes se réuniraient un jour (ce fut le cas 17 ans plus tard, en 1989, 1990), mais j’étais parfaitement conscient de me trouver, non pas à la « limite du monde libre » (je n’ai jamais accepté cette expression de propagande américaine), mais au cœur de l’équation historique allemande. Non seulement je n’avais rien contre la DDR, dont nous regardions tous les soirs les émissions, mais je me méfiais du dénigrement systématique de ce pays, autour de moi. Plus tard, j’ai lu les auteurs de la DDR, parmi lesquels certains des plus grands de la littérature allemande : Christa Wolf, Heiner Müller. Jamais, de toute ma vie, tout en étant évidemment critique sur le régime, et le rôle de la police politique, je n’ai porté de jugement à l’emporte-pièce sur ce pays, où je me suis évidemment rendu. Mon rapport à la DDR pourrait même faire, un jour, l’objet d’un livre.

     

    On parle toujours du Mur de Berlin, ville que je n’aime pas trop, mais pas des milliers de kilomètres de la ligne de démarcation, entre les deux Allemagnes. Soyons clairs : ces quarante ans de frontière interne étaient aussi artificiels que la ligne entre Zone occupée en Zone libre, entre juin 1940 et novembre 1942, au cœur de la France. Juste une frontière dessinée par les vainqueurs, froide, administrative, avec ses tonnes de barbelés. Je n’ai jamais cru, une seule seconde, à la thèse de la frontière entre le Bien et le Mal, le « monde libre » du beau gosse Kennedy face à la grisaille communiste. J’y voyais simplement ce qu’il fallait y voir : le résultat d’un rapport de forces, d’une défaite militaire, sans dimension morale ni théologique.

     

    Ces voyages à Bleckede, tout près d’où nous habitions, ont contribué à forger ma vision des rapports politiques. Méfiance viscérale face aux apparences, aux discours de propagande. Observation du terrain. Entretien avec les témoins. Étude passionnée de l’Histoire. C’est le début, j’en suis intimement persuadé, du chemin de lucidité.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Quelques questions autour de la Pologne

     

    Sur le vif - Vendredi 13.01.17 - 16.47h

     

    En lecture historique et stratégique des événements, il ne faut pas trop écouter ce que racontent les politiques, mais juger de l'état des forces, l'état du terrain. Suite à la décision américaine, hier, de déployer des blindés en Pologne, quelques remarques s'imposent :

     

    1) Barack Obama sait parfaitement que les quelques blindés américains ne seraient d'aucun poids, en cas de conflit conventionnel, face aux divisions russes bien implantées dans la région, depuis l'hiver 1944-1945. Il ne faut pas s'imaginer que ces divisions ont disparu. Les Russes connaissent parfaitement le terrain, depuis au moins deux siècles, les Américains pas du tout.

     

    2) Il existe une autre nation qui "connaît le terrain". Elle est aussi voisine de la Pologne, de l'autre côté, et s'appelle l'Allemagne. De nos jours, elle ne manifeste assurément aucune intention belliqueuse sur ses Marches orientales. Mais demain ? Après-demain ? Dans cinquante ans, cent ans? Depuis des années, j'écris que la question des frontières orientales de l'Allemagne n'est pas réglée.

     

    3) Cette nation, l'Allemagne, est très doucement, très discrètement, sans faire le moindre bruit, depuis 1989, en train de se réarmer. Aujourd'hui, cela se fait encore dans le cadre de l'OTAN. Mais combien de temps "l'OTAN" va-t-elle tenir en Europe ? Le Président américain élu, Donald Trump, qui entre en fonction dans une semaine, multiplie les signes de repli et de rapatriement de tout ce qui a été engagé militairement sur le continent européen, depuis le 6 juin 1944.

     

    4) Le jour où, par hypothèse, les Américains auraient quitté le continent européen, l'ensemble des armements lourds patiemment créés par les Allemands, de façon redoublée depuis 1989, dans le domaine des blindés, de l'aviation et même (tout récemment) de la Kriegsmarine (3 bâtiments, flambant neufs, commandés, dans l'indifférence générale, l'automne dernier), tout cela restera à disposition, sur le terrain européen. A disposition de qui ? Non plus de "l'OTAN", mais de l'Allemagne. La bonne vieille puissance militaire allemande, entamée sous Frédéric II, poursuivie sans relâche par Bismarck, par le Troisième Reich, et... par la Bundeswehr, sous couvert de participation aux forces atlantiques. Remarquable continuité, que la terrible défaite de 1945 a moins touchée qu'on ne pourrait croire. Avec quel matériel pensez-vous que la petite Bundeswehr, autorisée par le Grundgesetz (Loi fondamentale) de 1949, a commencé à se reconstruire ? Réponse : avec celui de la Wehrmacht, de même que l'encadrement en a été confié aux officiers de cette dernière, y compris d'anciens officiers supérieurs et généraux de la Waffen SS. Pourquoi ces réalités-là, parfaitement connues des historiens, ne sont-elles pas enseignées dans les écoles ?

     

    5) Là où Obama joue avec le feu, outre qu'il offre un cadeau empoisonné à son successeur, c'est qu'il accentue inutilement une tension géostratégique sur une ligne de front qui n'est autre qu'une poudrière. Il vient y semer l'esprit de guerre, alors que les Américains pourraient être amenés à se retirer, dans les années qui viennent, du théâtre d'opérations européen. Mais la tension restera. Et un autre acteur stratégique majeur, totalement invisible aujourd'hui dans l'opinion publique, demeurera. Première puissance économique d'Europe. Première puissance démographique. Et bientôt (cela dépend de la France), première puissance militaire. Cette Allemagne, je le réaffirme, est aujourd'hui un grand État démocratique, dépourvu d'intentions de guerre sur ses frontières orientales. Mais dans cinquante ans, cent ans ? Comment va évoluer, par exemple, sa cohésion sociale interne, élément capital depuis Bismarck ?

     

    Lorsque les Américains se seront retirés d'Europe (si cela se produit), la situation d'avant 1945 se décongèlera. Et nous pourrions bien retrouver, sur notre vieux continent, des lignes de front beaucoup plus classiques - comme nous les avons retrouvées dans les Balkans, entre 1991 et 1999 - que la lecture manichéenne de la Guerre froide, avec un monde coupé en deux, les gentils d'un côté, les méchants de l'autre. L'Histoire est coriace, férocement. Je vous invite donc tous à vous renseigner au maximum sur l'état des forces, la nature du terrain, les antécédents historiques, sur la question polonaise. Une poudrière, oui, à deux pas de chez nous.

     

    Pascal Décaillet