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  • Macédoine : ni Bruxelles, ni Berlin, SVP !

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    Sur le vif - Lundi 18.05.15 - 12.26h

     

    Dès mon premier passage en Macédoine, il y a très longtemps, j’ai aimé ce pays. Elle était à l’époque une République de la Yougoslavie, simple et pauvre, très paysanne, on voyait partout des ânes, pas encore remplacés par les machines agricoles. C’était une époque où j’allais beaucoup en Grèce, on visitait la Macédoine grecque (oui, je sais, pour mes amis grecs, ces deux mots, mis ensemble, forment pléonasme), mais nul ne se souciait de la Macédoine yougoslave. Ce pays était pourtant d’une troublante beauté, et rien que d’en parler, j’ai envie d’y retourner.

     

    On n’a recommencé à parler de la Macédoine que lors de sa déclaration d’indépendance en 1991 (lorsque la Yougoslavie a commencé à éclater), puis lors du conflit du Kosovo, à la fin des années 1990. Lorsque j’étais à Pristina en décembre 1998, on parlait beaucoup de Macédoine, car il existe dans ce pays une forte population albanaise. Beaucoup moins importante, en proportion de l’ensemble de la démographie du pays, qu’au Kosovo, mais tout de même une proportion qui compte, et peut peser sur le destin du pays : entre 25% et 40%, en fonction des données des uns ou des autres. La démographie, dans les Balkans, est non seulement loin d’être une science exacte, mais s’avère le principal argument de propagande des antagonistes ethniques. L’un des intellectuels albanais que je fréquentais à Pristina en 1998 était un professeur de géographie, démographe justement : le pouvoir encore tenu par les Serbes le pourchassait.

     

    Et puis voilà que depuis hier, on reparle de Macédoine. Grande manifestation, entre 40'000 et 50'000 personnes, contre le pouvoir en place, celui du Premier ministre Nicola Gruevski. On parle de corruption, justice et médias à la botte du pouvoir, etc. Les détails sur cette manifestation, nous sont donnés par qui ? Je vous le donne en mille : par l’OSCE, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, qui se félicite que les différentes composantes ethniques du pays (très complexe, passionnant, nécessitant impérativement une vision diachronique pour comprendre) se soient mises ensemble, dans la manif, pour dénoncer les « dérives du pouvoir en place ». On se félicite qu’Albanais, Macédoniens, Roms et Turcs défilent ensemble contre une équipe gouvernementale, jugée pourrie. Et les dépêches, en chœur, reprennent cette interprétation.

     

    Originaire de la Macédoine grecque, Gruevski est un orthodoxe pratiquant, il incarne une vision qui n’est pas exactement celle de l’OTAN et de l’Union européenne, dans les Balkans, depuis 1991. Un jour, l’Histoire de la décennie 1990 dans cette région d’Europe sera enfin écrite. On y dégagera le rôle des uns et des autres, nul n’étant évidemment blanc, mais nul n’étant totalement noir. On y établira le rôle de l’Allemagne de MM Kohl et Genscher dans le démantèlement de la Yougoslavie, le suivisme de l’Europe, hélas même celui de la France. On y décryptera le financement de l’UCK, la fonction jouée par les services secrets allemands, les vraies finalités stratégiques de l’OTAN. Oui, tout cela, un jour, sera établi. Parce que tout cela, simplement, doit l’être.

     

    Au cœur des Balkans, en conflit historique avec la Grèce sur le nom même du pays, la question macédonienne est aussi passionnante que complexe. Il faut bien sûr espérer que toutes les communautés ethniques composant ce pays puissent y vivre dans la paix et le respect mutuel. Mais les premiers signaux de ce qui s’est passé hier à Skopje ont de quoi inquiéter. Que le pouvoir soit corrompu, c’est bien possible. Il ne s’agit ici ni de le défendre, ni de l’accabler. Mais quand on voit des diplomates et des parlementaires européens rejoindre la manifestation, et promettre le soutien de l’Union européenne, alors oui, il y a de quoi avoir peur. Voilà qui rappelle, presque au mot près, ce qui a pu se passer à Kiev il y a quelques années.

     

    Respectons les Macédoniens. Ces manifestations sont les leurs, elles ont évidemment des raisons d’être. Souhaitons de toutes nos forces que ce pays demeure dans la pluralité ethnique qui, depuis la nuit des temps, lui est propre. Mais de grâce, que l’Union européenne, et surtout pas l’Allemagne de Mme Merkel, que l’OTAN, se gardent bien d’aller fourrer leur nez dans les affaires macédoniennes. On espérait que le chapitre des violences balkaniques ait bien voulu, pour un temps, se refermer. Assurément, il se rouvrira toujours dans l’Histoire. Mais de grâce, ne laissons pas Bruxelles et Berlin jeter de l’huile sur le feu.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Pier Paolo, revenez, s'il vous plaît !

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    Sur le vif - Dimanche 17.05.15 - 16.35h

     

    Envoyé spécial à Cannes de la RSR, Pierre-Etienne Joye est  un confrère dont j’apprécie les chroniques culturelles. Au journal de 12.30h, tout à l’heure, il nous annonçait que le cinéma italien était peut-être en train de revenir. Après une éternité d’absence. Cette promesse de retour, juste saisie au vol, m’a fait du bien. Elle m’a fait rêver. Il y a des moments, dans la vie, où il faut laisser au vestiaire le volontarisme de la pensée, laisser la nostalgie nous envahir. Laisser remonter les images, celles de notre adolescence. Il suffit que la radio ait actionné ces mots-clefs, « cinéma italien », « retour », pour qu’un être de mon âge, qui avait douze ans en 1970, se retrouve submergé par une foule de tableaux. Tellement forts, tant ils nous avaient marqués à l’époque. Là, pour une fois, oui, c’est générationnel : mêmes émotions, vécues aux mêmes moments, comme dans « Les Années », le livre sublime d’Annie Ernaux.

     

    A un jeune ami qui lirait ces lignes, je tenterais d’expliquer – mais c’est impossible – ce qu’a pu représenter pour nous le cinéma italien des années 60 et 70. Le premier, paradoxalement, je ne l’ai découvert que vingt ans plus tard, dans les années 80, grâce à Rui Nogueira, qui tenait le Ciné-Club de la rue Voltaire, le CAC. Le second, j’en ai vécu chaque sortie en direct : le cinéma, dans les années 70, était pour nous une occupation principale. Chaque film, un événement. Les nouvelles images frappaient nos consciences.

     

    Aucune sortie de film italien ne pouvait nous laisser indifférents. Il y avait des auteurs. Il y avait des génies. Il y avait l’ambition d’un récit réinventé. Il y avait des actrices et acteurs sublimes, majestueux. Des femmes qui nous explosaient de désir et d’envie. Des successions d’images dont seule l’Italie est capable, comme des chemins de croix avec des visages de saints, de madones, des étapes de souffrance sulpicienne, d’autres avec des cris de jouissance. Il y avait des regards tendres et des couronnes d’épines, de la douceur maternelle et de la lacération. Il y avait des meurtres en famille, de la mythologie grecque (Pasolini, Médée), de la Mort à Venise (Visconti, d’après Thomas Mann), la jeunesse éblouissante de Delon et Claudia Cardinale (Visconti, Guépard). Il y avait la noirceur du fascisme, que la plupart de ces grands réalisateurs (à commencer par Pasolini) avaient connu dans leur jeunesse. Il y avait des résurgences d’Abyssinie (Pasolini, 1001 Nuits) sur les visages des passants. Il y avait l’amour, la mort, la jalousie, la drôlerie, le désespoir. C’était un cinéma unique, on ne le retrouvera pas.

     

    Alors, quoi ? Alors, rien. D’autres, plus tard, d’Italie ou d’ailleurs, pour d’autres générations, inventeront des images. Les supports changeront, et sans doute ce qu’il est convenu d’appeler depuis 1895 « le cinéma » pourrait bien n’avoir été, devant l’Histoire, que le mode d’un moment, celui d’un siècle, le vingtième. Il y aura d’autres faiseurs d’images, pour nous raconter d’autres histoires. Ou plutôt, les mêmes. Car il y aura toujours Médée. Toujours Œdipe-Roi. Toujours Sade, et ses 120 Journées. Toujours l’Evangile selon Saint-Mathieu. Toujours, la nostalgie. Toujours, la mémoire. Amarcord, Fellini, « Je me souviens », en patois romagnol, celui de son enfance, à Rimini.

     

    Le cinéma italien des années 60 et 70 est un puissant levier de la mémoire, incomparable. Il actionne en nous le retour des images. Il nous invite, selon la formule d’Elie Faure, à chaque fois recommencer la vie.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Ces ministres qui s'emploient à éteindre la France

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    Sur le vif - Samedi 16.05.15 - 18.51h

     

    Lorsque j’étais enfant, jusqu’à l’âge de onze ans, donc la fin de mon école primaire en 1969, le président de la République française s’appelait Charles de Gaulle, et le ministre de la Culture André Malraux. Et puis, plus tard, dès 1981, j’ai vécu une autre époque bénie : à l’Élysée François Mitterrand, à la Culture Jack Lang. Deux hommes que j’ai eu l’honneur d’interviewer. De Gaulle, Malraux. Mitterrand, Lang. Il y a, comme ça, dans l’Histoire politique, des moments plus beaux que d’autres, comme habités par la Grâce. Passagère, furtive, à peine perçue, déjà partie. Mais la Grâce. Pas celle de Blaise Pascal, ni de Bernanos. Non, pas la Grâce théologique. Juste la conjonction de deux personnes. « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », comme dans la beauté saisissante de la relation entre Montaigne et La Boétie.

     

    En pensant à ces hommes-là, je me dis que la France d’aujourd’hui est à plaindre. Je n’ai rien, vous le savez, contre François Hollande, j’aurais voté pour lui contre Sarkozy, sans hésitation. Mais cet homme, qui n’habite pas si mal la fonction présidentielle (ce qui nous change des fautes de goût orléanistes de son prédécesseur), il faut lui donner un cours Berlitz pour choisir ses ministres. Jamais vu un président aussi mal entouré !

     

    Valls, un criseux, qui passe ses journées à engueuler tout le monde, moraliser, faire la leçon aux penseurs et aux philosophes, leur brandir la Table de ce qui est convenable, ou interdit. L’un des plus mauvais locataires de Matignon depuis les débuts de la Cinquième République. A la Culture, depuis le début du quinquennat (2012), deux ministres clairement sous la barre de ce qu’on peut attendre d’une telle fonction. D’abord (2012-2014), la catastrophique Aurélie Philippetti, orientant toutes ses interventions sur la dimension sociale (essentielle, certes, mais il existe d’autres ministères pour cela), mais affichant une totale inaptitude à un discours sur l’essentiel de sa mission : la culture. On ne lui demandait pas, à cette dame, de transférer tous les jours les cendres de Jean Moulin au Panthéon, ni de rendre hommage aux morts des Glières. Non, on aurait juste attendu quelque embryon d’éveil sémantique ou rhétorique sur la nature de la connaissance, la sensibilité de l’art. Juste cela, mais hélas rien. Quant à Mme Fleur Pellerin (en poste depuis 2014), rien, si ce n’est un virginal rougissement face à la nudité d’un acteur, qui avait surgi, comme cela, entre le néant et le néant, quelque part dans le champ du spectacle.

     

    Par charité, je renoncerai, cette fois, à vous dire ce que m’inspire l’actuelle ministre de l’Éducation nationale, Mme Najat Vallaud-Belkacem, sans doute une personne de qualité, mais désolé, pas dans cette fonction-là. A moins (mais j’y reviendrai, c’est promis), qu’elle n’ait reçu de l’ennemi la mission secrète de démanteler un ministère prestigieux, amiral, central, qui fut celui de Guizot et de Jules Ferry.

     

    Bref, un Premier ministre qui pique des crises, et se permet, dans une Assemblée Nationale où il n’est là que comme invité, de faire en tremblant de rage la leçon à une élue. Une école sans capitaine. Une culture aussi diaphane qu’anonyme. Je n’ai pris là que deux ministères. Mais vous reconnaîtrez qu’en termes de rang de la France, ils ne sont pas les moindres. Hélas, il n’y a plus ni rang, ni fierté nationale. Le peuple de France, profondément attaché à la grandeur et au rayonnement de son pays dans le monde, est le premier à en souffrir. L’Éducation nationale, c’est pour lui. La Culture, c’est pour lui. Tout cela devrait être, et n’est plus.

     

    M. Hollande, je continue à vous respecter. Mais certains de vos ministres, à commencer par le premier d’entre eux, ne sont pas dignes de la place qu’on attend de votre pays, celle d’un phare. Aujourd’hui, le phare est éteint, le gardien endormi. Jean Moulin sommeille au Panthéon, « avec Victor Hugo et les Soldats de l’An II ». Mais tant qu’on est vivant, Monsieur le Président, l’éveil s’impose. L’inquiétude. La vivacité de se battre.  A quand une Diane française ? A quand un Aragon pour réveiller les morts ?

     

    Pascal Décaillet