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Pier Paolo, revenez, s'il vous plaît !

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Sur le vif - Dimanche 17.05.15 - 16.35h

 

Envoyé spécial à Cannes de la RSR, Pierre-Etienne Joye est  un confrère dont j’apprécie les chroniques culturelles. Au journal de 12.30h, tout à l’heure, il nous annonçait que le cinéma italien était peut-être en train de revenir. Après une éternité d’absence. Cette promesse de retour, juste saisie au vol, m’a fait du bien. Elle m’a fait rêver. Il y a des moments, dans la vie, où il faut laisser au vestiaire le volontarisme de la pensée, laisser la nostalgie nous envahir. Laisser remonter les images, celles de notre adolescence. Il suffit que la radio ait actionné ces mots-clefs, « cinéma italien », « retour », pour qu’un être de mon âge, qui avait douze ans en 1970, se retrouve submergé par une foule de tableaux. Tellement forts, tant ils nous avaient marqués à l’époque. Là, pour une fois, oui, c’est générationnel : mêmes émotions, vécues aux mêmes moments, comme dans « Les Années », le livre sublime d’Annie Ernaux.

 

A un jeune ami qui lirait ces lignes, je tenterais d’expliquer – mais c’est impossible – ce qu’a pu représenter pour nous le cinéma italien des années 60 et 70. Le premier, paradoxalement, je ne l’ai découvert que vingt ans plus tard, dans les années 80, grâce à Rui Nogueira, qui tenait le Ciné-Club de la rue Voltaire, le CAC. Le second, j’en ai vécu chaque sortie en direct : le cinéma, dans les années 70, était pour nous une occupation principale. Chaque film, un événement. Les nouvelles images frappaient nos consciences.

 

Aucune sortie de film italien ne pouvait nous laisser indifférents. Il y avait des auteurs. Il y avait des génies. Il y avait l’ambition d’un récit réinventé. Il y avait des actrices et acteurs sublimes, majestueux. Des femmes qui nous explosaient de désir et d’envie. Des successions d’images dont seule l’Italie est capable, comme des chemins de croix avec des visages de saints, de madones, des étapes de souffrance sulpicienne, d’autres avec des cris de jouissance. Il y avait des regards tendres et des couronnes d’épines, de la douceur maternelle et de la lacération. Il y avait des meurtres en famille, de la mythologie grecque (Pasolini, Médée), de la Mort à Venise (Visconti, d’après Thomas Mann), la jeunesse éblouissante de Delon et Claudia Cardinale (Visconti, Guépard). Il y avait la noirceur du fascisme, que la plupart de ces grands réalisateurs (à commencer par Pasolini) avaient connu dans leur jeunesse. Il y avait des résurgences d’Abyssinie (Pasolini, 1001 Nuits) sur les visages des passants. Il y avait l’amour, la mort, la jalousie, la drôlerie, le désespoir. C’était un cinéma unique, on ne le retrouvera pas.

 

Alors, quoi ? Alors, rien. D’autres, plus tard, d’Italie ou d’ailleurs, pour d’autres générations, inventeront des images. Les supports changeront, et sans doute ce qu’il est convenu d’appeler depuis 1895 « le cinéma » pourrait bien n’avoir été, devant l’Histoire, que le mode d’un moment, celui d’un siècle, le vingtième. Il y aura d’autres faiseurs d’images, pour nous raconter d’autres histoires. Ou plutôt, les mêmes. Car il y aura toujours Médée. Toujours Œdipe-Roi. Toujours Sade, et ses 120 Journées. Toujours l’Evangile selon Saint-Mathieu. Toujours, la nostalgie. Toujours, la mémoire. Amarcord, Fellini, « Je me souviens », en patois romagnol, celui de son enfance, à Rimini.

 

Le cinéma italien des années 60 et 70 est un puissant levier de la mémoire, incomparable. Il actionne en nous le retour des images. Il nous invite, selon la formule d’Elie Faure, à chaque fois recommencer la vie.

 

Pascal Décaillet

 

 

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