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  • Tous esclaves, tous Hébreux !

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    Sur le vif - Lundi 26.05.15 - 16.11h

     

     

    Quelqu'un pourrait-il gentiment expliquer aux huiles du DIP que le Chœur des Esclaves, dans Verdi, n'est pas - du moins à notre connaissance - composé d'esclaves professionnels, mais de choristes qui jouent les esclaves, entonnent un air d'esclaves, écrit sur une partition?

     

     

    De même, il n'est pas dit que pour chanter dans le Chœur des Hébreux, l'appartenance à la religion juive soit obligatoire.

     

    Ou encore, les Pèlerins qui entrent dans le Wartburg, chez Wagner, ne font pas chaque jour, entre deux représentations, le trajet de Rome à pied.

     

    Je doute également que la Traviata meure vraiment chaque soir sur scène.

     

    Donc, poliment leur dire que chanter une prière chez Britten, ça n'est pas encore prier.

     

    Cela s'appelle une fiction. Cela s'appelle une démarche artistique. Cela s'appelle une distance. Cela s'appelle de l'art.

     

    Ignorer cela, au plus haut niveau de quel Département ? Hélas, hélas, hélas : celui-là même, justement, dont on attendrait qu'il sensibilise les élèves à ce qu'est un rôle, une représentation, une mise en scène.

     

    Parce que les initier à cela, c'est justement les arracher à l'enfantine cruauté d'une nature qui nous fait prendre les sorcières des films pour de vraies sorcières, les bandits pour des bandits. Riche de cette initiation, on décapitera moins l'infidèle. On brûlera moins les livres. Et peut-être, allez rêvons, on se laissera moins tétaniser par une petite clique qui, à Genève, est entrée en laïcité comme d'autres en religion.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La jeunesse d'Espagne a parlé à l'Europe

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    Sur le vif - Dimanche 25.05.15 - 16.46h

     

    Pour tous ceux qui suivent la politique espagnole depuis la mort de Franco (1975), ce dimanche 25 mai 2015 marque un tournant. Tout l’après-franquisme s’est construit sur le bipartisme, entendez la rivalité de deux grandes familles politiques, les conservateurs et les socialistes. Pendant quarante ans, ils ont occupé le pouvoir, tantôt les uns, tantôt les autres, traversé les épreuves, tenté de faire avancer le pays. Mais aujourd’hui, à la faveur des élections municipales et régionales, une nouvelle carte politique de l’Espagne est en train, cet après-midi en direct, de sortir d’un révélateur, comme on le disait du temps de la photographie chimique.

     

    Une nouvelle génération arrive aux affaires : elle s’appelle Podemos (gauche radicale) ou Ciudadanos (centre droit). Dans certaines régions, certaines villes, à commencer par Madrid et Barcelone, de nouveaux partis, de nouvelles tendances sont aux portes du pouvoir. Oh, les deux grands partis traditionnels sont loin de disparaître, mais désormais, ils vont devoir composer avec d’autres. En trouvant des majorités par objectifs, par exemple : c’est peut-être d’ailleurs ce que le peuple attend.

     

    L’un des facteurs les plus déterminants de cette mutation de la politique espagnole, c’est la jeunesse. Voilà de longues années que, dans ce pays, la proportion de chômeurs chez les moins de 25 ans constitue un signal d’alarme. Pour les régions les plus pauvres, comme l’Andalousie, la masse des jeunes sans emploi est effrayante. Par contraste, en Espagne comme ailleurs en Europe, la génération aujourd’hui à la retraite, celle qui est née juste après la guerre, bénéficie de la répartition des richesses. C’est valable pour l’Espagne, mais ce déséquilibre devrait tout autant nous interpeller en Suisse, malgré la différence de nos systèmes économiques et sociaux.

     

    Cette jeunesse n’a pas de travail, mais elle vote. Et le message d’aujourd’hui est celui d’une défiance. Podemos dans l’ensemble du pays, Indignés aux portes du pouvoir municipal à Barcelone, avec une Ada Colau qui a construit sa campagne sur la lutte contre les expulsions d’immeubles, il y a là de multiples signaux du besoin d’émergence d’une autre politique, plus concrète, plus juste, et pourquoi pas, lâchons le mot, plus fraternelle. En sachant que cette « fraternité », ça n’est plus par les grands partis traditionnels de l’après-franquisme qu’on ambitionne de l’atteindre.

     

    Il est bien possible que le message de l’Espagne ait une dimension européenne. Oh, bien sûr, ce pays a son Histoire politique propre, elle lui appartient, et ne saurait se reporter sur d’autres. Mais tout de même : l’échec du libéralisme axé sur le casino financier, déjà criant dans ce pays au moment de l’éclatement de la bulle immobilière, le besoin d’une société plus juste, de richesses mieux réparties entre les générations, l’appel de la jeunesse pour qu’on ne l’oublie pas, tout cela ne peut demeurer étranger à notre perception.

     

    En Espagne comme en Grèce, on est sur le continent européen, je dis « le continent » et pas l’institution de Bruxelles. En Espagne, en Grèce, et aussi dans ce petit pays du centre de l’Europe, dont la prospérité n’a rien d’éternel, et qui ne serait rien sans ses réseaux de mutualité et de solidarité. Ce petit pays s’appelle la Suisse. Il ferait bien de décoder le message du peuple espagnol. Il n’est pas certain du tout que les problèmes de nos amis ibériques soient si différents des nôtres. Juste, pour l’heure, le curseur de l'injustice sociale n'est pas placé au même endroit. Mais un curseur, ça se déplace si vite. Sans même qu’on s’en aperçoive.

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'unité de l'esprit

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    Sur le vif - Dimanche 24.05.15 - 18.29h

     

    « Comment écrire ? Il faut l’unité de l’esprit ». François Mitterrand à Bernard Pivot, Apostrophes, 7 février 1975. J’avais vu, à seize ans et demi, cette émission en direct, qui m’avait amené à me précipiter sur « La Paille et le Grain ». Je viens d’en revoir cet extrait si dense et si puissant, sur les archives de l’INA. « L’unité de l’esprit » : j’aime ces mots. J’ai toujours aimé la manière dont parlait et écrivait Mitterrand. On pense, bien sûr, aux « forces de l’esprit », vingt ans plus tard, dans ses ultimes vœux au peuple français, le 1er janvier 1995. Ni Giscard ni Rocard, tout brillants qu’ils fussent, ne nous parlaient de « l’esprit ».

     

    L’unité de l’esprit : je retombe sur ces mots un matin de Pentecôte. Ces mots-là, simples et beaux, on les attendrait plutôt dans un essai sur Nicée ou sur le monisme, sur Platon ou Plotin, que dans la bouche d’un responsable politique. Nous sommes en janvier 1975, c’est le tout début de la France de Giscard, le locataire de l’Elysée nous éblouit, ou plutôt nous enfume, avec des chiffres et des courbes, un jargon économique et financier que peu de gens comprennent, c’est l’ère des énarques et des technocrates. On veut faire moderne. Et le même Giscard, huit mois plus tôt, le soir de son élection, le 19 mai 1974, avait cru bon de tenir un discours en anglais. J’avais détesté.

     

    Et puis là, huit mois après, celui qui n’est même pas le chef de l’opposition, car il doit constamment s’affirmer face aux communistes pour y parvenir, mais tout de même le principal opposant, pour qui la moitié de la France avait voté en mai 1974, donné bien imprudemment comme un « homme du passé », vient chez Pivot, nous parle de « l’unité de l’esprit », et c’est une autre France, une autre langue, un autre champ de références qui surgissent sur les écrans. A ce moment-là, face à ces mots prononcés par un homme dix ans plus âgé que Giscard, c’est paradoxalement le brillant énarque de l’Elysée qui prend des rides. Pendant tout le septennat, Mitterrand, parfaitement conscient de l’effet produit, peaufine l’image du provincial, attaché à la terre, aux arbres, aux livres, face à la modernité parisienne de Giscard. Et toute une partie de la France, doucement, se dit que ce Mitterrand, naguère si honni, est au fond un Monsieur très bien, puisqu’il vient nous parler de « l’unité de l’esprit ».

     

    De quoi s’agit-il, dans la citation ? Simplement de la solitude et de la tranquillité nécessaires à l’homme qui entreprend d’écrire. Mais Mitterrand ne dit ni « tranquillité », ni « solitude ». Il parle de « l’unité de l’esprit ». Vocabulaire théologique, mots simples et puissants, il y a quelque chose qui passe. Comment vouliez-vous que le pauvre Giscard vînt le lendemain, nous sortir ses théories sur la déflation et la balance du Commerce extérieur, sans passer, en comparaison, pour un représentant de commerce ? Orfèvre du verbe, Mitterrand avait compris que sa future victoire devait naître des mots, comme d’autres naissent de la lumière.

     

    1975, « l’unité de l’esprit ». 1995, « les forces de l’esprit ». Quand on connaît l’enfance et les lectures de François Mitterrand, son adolescence, ses années de formation, on inscrit ces expressions dans un long chemin spirituel. Mais à l’époque, il y a quarante ans, ces mots avaient littéralement surgi. Loin d’être perçus comme un archaïsme, dans une France où le culte du moderne était à son apogée, ils furent reçus, par un très grand nombre de téléspectateurs d’Apostrophes, comme la promesse d’un autre langage, et l’espoir d’un renouveau. Il allait falloir encore six longue années, mais quelque chose, l’air de rien, avait été semé. Et ce soir encore, en ce dimanche de Pentecôte, la puissance de ces mots, « l’unité de l’esprit », résonne dans ma tête. Je ne parle pas ici de choix politiques, mais je suis, près de vingt ans après sa mort, profondément reconnaissant à cet homme d’avoir existé, parlé, écrit, comme il l’a fait. Et particulièrement heureux d’avoir été, pour quelques décennies, son contemporain.

     

    Pascal Décaillet