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  • Une conseillère d'Etat qui décide !

     

    Publié dans GHI - Mercredi 28.01.15

     

    Seule femme au sein du gouvernement genevois, arrivée aux affaires après deux décennies de réformes, demeurée discrète pendant la première année de sa présence au Conseil d’Etat, la socialiste Anne Emery-Torracinta commence à marquer les esprits par la clarté de ses vues, sa compétence à les communiquer, et surtout sa capacité à prendre des décisions en rupture avec les errances du passé. Mieux : dans un monde où, trop longtemps, ont régné les haut fonctionnaires, le politique commence à s’imposer et montrer qui décide. Oui, la nouvelle ministre fait une percée remarquée en ce début d’année.

     

    Le meilleur indice de tout cela, c’est l’affaire de l’IUFE (Institut universitaire de formation des enseignants). Nous avons, en premier, révélé ici même, il y a quelques mois, certains des innombrables dysfonctionnements de cet institut, du moins pour la formation de prof au secondaire. Inadéquation totale entre le nombre d’élèves et celui de places de stage disponibles en deuxième année (en 2014 : 275 candidats, seulement 141 stages). Mais aussi, problèmes liés à la gestion et aux finances, ce qui a d’ailleurs valu à l’IUFE des demandes d’examen par la Cour des Comptes. Les relations de l’institut avec les écoles privées, par exemple, méritent d’être éclaircies.

     

    Face à cette situation, d’autres auraient pu faire semblant de ne rien voir. Ou enfoui la tête sous le sable, à la manière de l’autruche. Ou couvert indéfiniment les errances de gens bien en place, organisés de façon suffisamment corporatiste pour qu’on ne les dérange pas trop. Eh bien non, après avoir étudié le dossier, laissé passer les Fêtes, pris acte des demandes d’éclaircissements de députés comme Thomas Bläsi (UDC) ou Jean Romain (PLR), qui ont fait leur boulot de parlementaires, Anne Emery-Torracinta a tranché : vendredi 23 janvier, Genève apprenait qu’il n’y aurait pas de rentrée IUFE pour la formation du secondaire en 2015. C’est une bombe. Une rupture avec le passé. Pour cela, il fallait du courage. La conseillère d’Etat l’a eu.

     

    Et c’est cela qui tranche. Cela qui apparaît comme nouveau. Après le très long règne, remarquablement innovateur, d’André Chavanne (1961-1985), vinrent celui, paisible, de Dominique Föllmi (1985-1993), celui, pas toujours lisible, de Martine Brunschwig Graf (1993-2003), puis celui de Charles Beer (2003-2013), un homme lucide sur les enjeux, mais peu enclin à des décisions fracassantes. Tous, des ministres de qualité, intelligents, attachés au bien public, mais on avait fini par prendre l’habitude d’une certaine absence de décision politique, les très lourds rouages de la fonction publique ayant tendance à rouler tout seuls. D’autant que, de plus en plus, les impulsions ne venaient pas de l’exécutif, mais de remuants parlementaires, comme Jean Romain, contraignant certains ministres à « faire sa politique ». Ce fut le cas, de façon flagrante, pour M. Beer.

     

    Dans ces conditions, la décision sur l’IUFE réhabilite l’échelon politique. Elle rappelle qu’en démocratie, le chef c’est le ministre élu. Et non l’armée byzantine de fonctionnaires, avec ses légions d’archanges et de séraphins. En cela, Anne Emery Torracinta marque politiquement un point. D’autres fronts, innombrables, lui donneront des occasions de se battre. La législature est encore longue.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Les leçons de la Grèce : lumière, résistance, démocratie

     

    Sur le vif - Lundi 26.01.15 - 13.12h

     

    Dans le pays où, voici vingt-cinq siècles, fut inventée une forme de démocratie qui, bien plus tard, sera l’une des inspiratrices de la nôtre, les urnes ont parlé. Pas la rue : les urnes ! Le « démos », souverain, a exprimé son choix. La première chose, avant toute autre réaction, est de prendre acte de ce choix, le respecter. Ne pas commencer à dire que le peuple grec se serait trompé, aurait cédé à un aveuglement, aux sirènes d’un populisme de gauche. Non, le peuple grec a parlé, c’est lui qui décide des affaires de la Grèce, lui et lui-seul, lui et certainement pas l’Union européenne, ni le Capital mondialisé, ni l’Allemagne, ni Mme Merkel.

     

    La Grèce et l’Allemagne. L’une des passions de ma vie, sur laquelle j’ai tant travaillé naguère. Non sur le plan politique, mais littéraire : ce petit miracle, dès la seconde partie du dix-huitième siècle, de transmission de la littérature grecque par les plus éclairées, les plus géniales des consciences allemandes de l’époque : je pense en priorité à Hölderlin. Et, toujours avec beaucoup d’émotion, à mon professeur de l’époque, Bernhard Böschenstein. Non, nous ne sommes pas hors sujet : je dis ici  à quel point était devenu insupportable le paternalisme de Berlin face à Athènes, depuis des années. Mme Merkel parlait de la Grèce comme le patron du Saint-Empire aurait, naguère, parlé d’une contrée sujette. Elle ne se contentait pas de s’inquiéter de la situation économique de ce pays, elle intervenait directement, tonnait, grondait, comme un adulte faisant la leçon à un enfant.

     

    Oui, ce discours était devenu insupportable, non seulement quand on pense aux souffrances économiques et sociales du peuple grec, mais encore – et surtout – quand on s’est penché sur l’Histoire de ce pays, quand on connaît l’intransigeance de sa fierté nationale, son exceptionnelle capacité de résistance aux puissants extérieurs. Comme le rappelait tout à l’heure à la RSR Christophe Chiclet, remarquable connaisseur de l’Histoire grecque, ce peuple-là a dit non à Mussolini en 1940, non à Hitler dès 1941, non aux Anglais en 1945. Allait-il si longtemps supporter l’arrogance du discours de Berlin, le traitant en improbable dominion ?

     

    Alors hier, les Grecs ont voté pour Syriza. Et moi, amoureux de ce peuple et de son Histoire, moi qui ai la chance de connaître le grec ancien et espère bien avoir assez de force, encore, pour me mettre au grec moderne (que je lis, dans un journal, mais suis incapable de parler), j’enrage de ce paternalisme, toujours recommencé, des journaux économiques, ou des pages financières de nos quotidiens libéraux romands, ne titrant ce matin que sur la réaction des marchés, l’inquiétude de l’Union européenne, les leçons d’inexorable de la presse allemande de ce matin (Frankfurter Allgemeine). Titrant sur tout cela, oui, qui n’est pas primaire, mais secondaire.

     

    Ce qui est primaire, c’est de prendre acte du choix souverain d’un grand peuple. Un peuple exsangue. Un peuple qui souffre. Un peuple qui voudrait simplement pouvoir payer son loyer. Un peuple qui, en matière de démocratie, n’a strictement aucune leçon à recevoir de nous. Un peuple qu’il faut soutenir. Nous lui devons tant. Et pas besoin pour cela de remonter à Périclès. Lire les auteurs grecs d’aujourd’hui, la presse grecque d'aujourd'hui, aller voir le remarquable cinéma grec contemporain, celui dont seul l’excellent journal Gauche Hebdo nous parle, depuis des années. Eh oui : pendant que la très obédiente presse libérale n’en finit plus de tartiner sur les leçons de Mme Merkel, l’impatience des Allemands et de l’Union européenne, Gauche Hebdo, semaine après semaine, nous sensibilise de manière pointue et compétente aux éblouissements culturels de la Grèce aujourd’hui. Et si nous recommencions à parler de ce pays sous l’angle de la lumière ? Il a tant à nous apporter.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Gil Baillod : l'étoffe des grands

     

    Sur le vif - 22.01.15 - 17.29h

     

    Gil Baillod, dont nous apprenons à l’instant le décès, à trois semaines de ses 80 ans, a été l’un des plus grands journalistes que la Suisse romande ait connus. Un homme seul. Une tronche. Un caractère. Une tête de lard. Un homme avec un incroyable réseau, lui permettant d’explorer à fond les arcanes du pouvoir, pour mieux décrire et dénoncer les abus des puissants. Un homme qui s’est fait des légions d’ennemis. Grandi par eux, leur nombre, leurs tentatives de nuisances, de pressions. Magnifié par son combat, et celui de ses équipes à l’Impartial, pour établir des vérités locales, celles qu’il n‘aurait pas fallu voir, parce qu’elles n’étaient pas celles des cartes postales.

     

    Patron mythique de « L’Impartial », infatigable bretteur des Montagnes neuchâteloises, bijoutier-joaillier de formation, Gil Baillod aura passé sa vie à sertir le matériau des mots. Orfèvre du billet ! Il était au coup de gueule ce que les Quarantièmes Rugissants sont à l’aventurier solitaire du Cap Horn : la promesse, toujours, de l’inattendu. Des tempêtes de sincérité. La défense des petits contre les puissants. Il était à lui seul un maelström. Je garderai de cet immense confrère un souvenir exemplaire de professionnalisme, de courage et d’engagement. Ce soir, le monde du journalisme en Suisse romande est en deuil. Un grand du métier nous a quittés.

     

    Pascal Décaillet