Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 7

  • Dissertation sur l'Histoire allemande

    411000640.jpg 

    A la veille du 25ème anniversaire de la Chute du Mur, j'ai éprouvé le besoin d'écrire, en ce samedi après-midi, l'intensité de ma passion pour l'Histoire allemande  - Du moins, dans la part du dicible : celle qui relève à la fois de l'avouable et de l'aspiration à la clarté - Allez, disons "Aufklärung" - Samedi 08.11.14 - 17.52h

     

    « Es wächst zusammen, was zusammengehört ». Peut croître ensemble, ce qui est du même terreau. Ou de la même appartenance. Par le génie de ces cinq mots, ramassés grâce à la capacité de la langue allemande à densifier la synthèse, Willy Brandt apportait à chaud son premier commentaire à la chute du Mur, le 9 novembre 1989. En cinq mots, l’ancien chancelier (1969-1974) avait tout dit, tout compris. Je serais trop long si je racontais ici mon équation personnelle, dicible ou moins dicible, avec l’Allemagne, son Histoire récente, sa littérature. Quelques mots tout de même, à la veille de marquer le premier quart de siècle de la chute du Mur.

     

    Le 9 novembre 1989, je n’étais pas en Allemagne, mais à la Radio Suisse Romande. J’avais passé – avec intensité, jouissance  – une partie de la nuit à traduire pour nos éditions matinales les discours qu’étaient en train de tenir Helmut Kohl, Hans-Dietrich Genscher, Willy Brandt. L’Histoire allemande m’a toujours habité. Dans une autre vie, je lui aurais consacré mon existence. Elle est complexe, plurielle, dépourvue de centre (aucune ville allemande, et surtout pas Berlin, n’est l’équivalent de Paris). Elle implique de se plonger dans des questions linguistiques, dialectales, confessionnelles, théologiques même. Pays de Luther. Pays de Bach. Pays de Moses Mendelssohn, sur lequel a tant travaillé mon ami Maurice-Ruben Hayoun.

     

    Trempé dans tout cela, ayant passé de saisissantes périodes de ma jeunesse dans les Allemagnes, j’entrevois l’Histoire de ce pays dans sa continuité. Non avec les lunettes de l’idéologie. Mais avec la tentation passionnée de comprendre une nation en recherche d’elle-même, dans la difficulté de ses équations internes. Cela remonte à très loin. Au moins, aux « Reden an die deutsche Nation », ces conférences visionnaires tenues en 1807, dans un Berlin occupé par les troupes de Napoléon, au lendemain de la défaite d’Iéna (1806), par Johann-Gottlieb Fichte, l’un des pères de l’idée de nation allemande. Toute personne, je l’affirme, aspirant à tenir un quelconque commentaire sur l’Histoire allemande aux 19ème et 20ème siècle, doit lire ces Discours de Fichte. Et puis, peut-être aussi, se renseigner sur ce qui s’est passé dans l’Histoire littéraire des Allemagnes, dans les dernières décennies du 18ème siècle: on se fatigue un peu de l’universel et des Lumières, on se replonge avec Schiller, certaines facettes de Goethe, et au travers d’inoubliables syllabes d’Hölderlin, dans quelque chose qui n’est plus de l’ordre du ciel, mais du terreau : « Es wächst zusammen, was zusammengehört » : la phrase de Willy Brandt, deux siècles plus tard, résume tout.

     

    Eh oui. Le jour où s’écroule ce qui devait diviser le monde, c’est un appel à la vie au sein d’une même appartenance que lance l’ancien chancelier, ancien maire de Berlin, ancien opposant à Hitler. Mais l’appartenance allemande, comment la définir ? La langue ? Oui, sans doute. Mais avec prière de ne pas trop déborder sur la Suisse alémanique, l’Alsace, le Luxembourg, les Sudètes, la Poméranie. La nation ? Oui, mais laquelle ? Celle des Länder, tellement plus puissante que le lien fédéral ? La culture ? Ou alors, peut-être, comme dans les films de Hans-Jürgen Syberberg ou de Rainer Werner Fassbinder, le sentiment profond d’avoir vécu, dans la souffrance comme dans des étincelles d’extase, la dureté d’un destin commun. Unité dans les années 1860, période bismarckienne, premières assurances sociales, Grande Guerre, Révolution de Novembre 1918 (lire Döblin, absolument), chocs des Spartakistes contre les premiers Corps-francs (lire Ernst von Salomon), haine du Traité de Versailles, République de Weimar, Troisième Reich, année 45, oui cette Année Zéro, reconstruction.

     

    J’ai d’abord accédé à l’Histoire allemande par ma mère. Puis, par mes voyages et séjours, très nombreux. Puis par la littérature, notamment avec Bernhard Böschenstein, qui m'initia à Friedrich Hölderlin et Paul Celan, et que je salue avec émotion et reconnaissance. Puis, de façon massive, par les livres d’Histoire eux-mêmes. Sans compter la musique. Entrer en culture allemande, c’est pénétrer dans une forêt de la totalité (lire Béguin, les Romantiques). Trajet d’initiation, jamais abouti, n’ayant d’ailleurs pas à l’être. Considérée ainsi, la complexité de l’Histoire allemande nous enrichira d’autres saveurs, combien plus subtiles et plus éclairantes que le seul prisme de l’idéologie, « gentille RFA », « méchante DDR », etc.

     

    En permettant la réunification, la chute du Mur n’accomplit au fond, en lecture nationale des Allemagnes, que l’un des incessants épisodes, depuis plus de mille ans, de rapprochement de la Prusse avec le Saint Empire catholique, qu’il soit rhénan ou bavarois. Tantôt, le Brandebourg et ses Marches regardent vers l’Est. Tantôt, ils s’ancrent vers l’ouest. Face à cette lecture-là, les histoires de capitalisme et de communisme apparaissent davantage comme les catalyseurs de mouvements nationaux que comme protagonistes. D’ailleurs, ces religions politico-économiques passent et trépassent. L’Histoire de la nation allemande, complexe et inachevée, demeure à écrire. Par les Allemands eux-mêmes. Avec leurs codes, leurs langages, au pluriel. Leur culture. Leur sentiment commun d’appartenance : „Es wächst zusammen, was zusammengehört „. Oui, dix-neuf ans après la génuflexion de Varsovie (1970), l’homme de Lübeck, l’exilé scandinave des années de braise, avait tout saisi, tout compris. Willy Brandt, qui n’était pas un héros de l’Europe, ou du Saint Empire, comme le catholique rhénan Helmut Kohl. Mais un destin allemand, accompli à partir d'une solitude hanséatique. Uniquement allemand, profondément allemand.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les petits fronts des petits républicains

     

    Sur le vif - Vendredi 07.11.14 - 17.16h

     

    Nous pensions avoir déjà assisté, dans l’affaire dite de « l’esclandre du Grand Conseil », le 10 octobre dernier, à un rare sommet d’hypocrisie dans les fausses pleurnicheries et les mielleuses leçons de morale de certains parlementaires. Tout heureux de pointer du doigt le mouton noir, convoquer le souvenir du fascisme. Haro sur le dérangeur ! Qu’on l’expulse (oui, cela fut proposé), l’empêcheur de parlementer en rond. Brumaire par ci, le colonel Tejero par-là : on a eu droit à tout, rumeurs de pronunciamientos, bruissements de bottes, complicité coupable de l’ordre policier. Nos petits républicains tentaient en larmoyant de nous dessiner les petits fronts de leur petite résistance. Ils étaient l’Ordre établi, la Morale, le Convenable. Face à eux, la Bête immonde. La noirceur de la nuit.

     

    Oui, nous pensions avoir atteint le sommet. C’était sans compter l’ineffable lettre signée aujourd'hui (dans l’épicentre comme dans l’épicène) par les « Cheffes de groupe Les Verts et les Socialistes, et les Chefs de groupes PDC et PLR ». Deux pages d’anthologie. Quatre semaines après ces heures terribles où chacun sait que la République a failli basculer, notre 6 février 1934 à nous, avec nos Cagoulards, nos Ligues, un mois donc après le cataclysme, voilà l’Ordre du Convenable qui en remet une couche. « Particulièrement choqués » par les événements du 10 octobre, « gestes déplacés », « violence sur le pupitre des Conseillers d’Etat », « nous croyons en cette démocratie parlementaire », osent-ils ajouter, à croire que cette dernière aurait vécu il y a quatre semaines ses dernières heures, son 10 juillet 1940, son octobre 1922 dans les faubourgs de Rome.

     

    Là, il faut dire halte. Mesdames et Messieurs les Partis du Pouvoir, docteurs ès barbichette, Prix Nobel d’hypocrisie, il faut dire – ou plutôt rappeler – une ou deux choses sur les vraies raisons qui vous animent. Elles ne relèvent en rien de la morale. Mais du calcul politique. Le fond de l’affaire, c’est le deuxième tour des élections municipales du printemps 2015. La montée du MCG dans certaines communes suburbaines (là se jouera la vraie bataille) commence sérieusement à vous faire peur. Alors, après le premier tour, qui sera celui des Conseils municipaux, vous envisagez d’entreprendre toutes choses pour barrer la route à ce parti. Vous en avez d’ailleurs parfaitement le droit : chacun, dans un scrutin majoritaire, tricote les majorités qu’il veut pour tenter de triompher. Mais de grâce, ne venez pas nous pousser la chansonnette de la morale. La politique est une question de rapports de forces. Vous construisez le vôtre. Vos adversaires, le leur. C’est tout, strictement tout.

     

    De grâce, épargnez-nous, pour vous éviter le ridicule, l’expression « Front républicain ». La plupart d’entre vous, que savez-vous de la République ? De quel droit vous permettriez-vous, par le jeu de miroirs historique de ces deux mots, d’exclure du champ républicain des partis, comme Ensemble à Gauche, le MCG, l’UDC, qui simplement y sont vos adversaires, allant comme vous solliciter en toute légalité, dans les règles du jeu, les suffrages des citoyens ? Alors, de grâce, Mesdames et Messieurs les Gentils, les Convenables, faites de la politique et pas de la morale. Battez-vous contre vos adversaires, tentez de les vaincre. Mais ne venez pas vous approprier une République qui ne vous appartient pas. Nul n’est dupe de vos subterfuges : dans l’affaire du 10 octobre 2014, si vous mettez tant l’accent sur la forme, c’est juste pour nous faire oublier le fond : votre trouille des deuxièmes tours dans certaines communes suburbaines. Et tout le reste, comme chez Verlaine en son Art poétique, est littérature.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le populisme par les questionnaires

     

    Sur le vif - Mardi 04.11.14 - 16.57h

     

    Vous êtes dans un gouvernement, et déjà à court d’idées ? Pas de problème : il vous reste le questionnaire. Vous balancez à la population un vaste sondage, en modulant bien les questions comme vous en avez envie, et vous attendez que le génie naturel de la base vous souffle ce qu’il faut faire. C’est ce que vient de faire le ministre genevois des Transports, grand caresseur du peuple dans le sens du poil. Quel peuple ? Celui qui vote ? Hélas non : celui qui répond à des questionnaires. Nous ne sommes plus dans la démocratie, mais dans l’instrumentalisation de l’opinion majoritaire d’un moment, dépourvue de toute légitimité dans l’ordre du démos. Juste la majorité d’un sondage. Dans cette démarche, où est le ministre ? Où est le gouvernement ? Où se trouve l’Etat ?

     

    Au moins, lorsque M. Longchamp refile aux communes, pistolet sur la tempe, un questionnaire à choix multiple inventé par lui-seul, et met en scène la prétendue lenteur des élèves à rendre la copie, les choses sont claires. On comprend que le gouverneur, de là-haut, a déjà pris toutes les décisions, et qu’il a juste besoin d’un alibi de consultation pour foncer dans la direction que seul, il entend suivre. Avec M. Barthassat, populiste de l’opinion, consultant « la population » et non le peuple citoyen, il n’y a pas à être davantage dupe. Certes, les choses se font avec moins de raideur que chez le Régent, mais l’utilisation du pseudo-aval majoritaire pour avancer dans une direction déjà prise, est claire.

     

    Depuis plusieurs semaines, à vrai dire dès le soir du 28 septembre, le conseiller d’Etat, dont j’ignore ce qu’il a exactement négocié avec les Verts, prépare l’opinion à une remise en cause du libre choix des transports, principe constitutionnel dûment voté par le souverain, il y a quelques années. Comme par hasard, cette préparation de l’opinion était méticuleusement reproduite il y a quelques jours, sous la plume d’un chroniqueur de la Tribune de Genève. Revenir sur le libre choix, en répétant (et en faisant répéter) à l’envi que « l’hyper-centre » (expression qui par hasard surgit depuis la fin de l’été) doit être dégagé des voitures, c’est la stratégie, la vraie, du ministre. Car il en a une. Il sait où il va. Dès lors, qu’il l’assume, et nous épargne ces pseudo-consultations qui n’ont pour vertu que de peaufiner son image de magistrat qui écoute la base.

     

    Ecouter est pourtant indispensable, quand on est au pouvoir. Mais le peuple qu’il faut écouter, c’est celui qui vote, qui décide. Et non la « population » (Bevölkerung) qui répond à des sondages. Ecouter le peuple qui décide, cela pourrait être, par exemple, respecter le vote, finalement récent, sur le libre choix du mode de transport. Plutôt que de poignarder par derrière cette disposition, en s’appuyant sur une prétendue majorité de l’opinion.

     

    Pascal Décaillet