Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 5

  • Plaidoyer pour l'allemand

    images?q=tbn:ANd9GcReD4PdEi8LvZ31vy8-9JU5oPK8zczS6qbQMcgcbHxSZvygIHpZ 


    Commentaire publié dans GHI - 10.09.14
     

     

    Bien sûr, l’anglais est utile, qui le nierait ? C’est une langue véhiculaire, planétaire, facile pour les échanges et le commerce. L’anglais est d’ailleurs aussi une langue de haute tenue littéraire, mais bizarrement ses partisans, tout à la louange de l’affairisme aisé, ne brandissent jamais ces qualités.


     
    Je n’entends pas ici m’attaquer à l’anglais, ni jouer une langue contre une autre. Je dis simplement qu’en Suisse, nous avons des langues nationales, parmi lesquelles trois de nos plus importants parlers continentaux : le français, l’allemand, l’italien.


     
    L’italien, l’allemand, pour un Suisse, ne relèvent pas de l’exotisme : ces langues, ces cultures font partie de notre patrimoine national. Leur montrer de la défiance, en prônant le primat de la langue du commerce, c’est mépriser ce que nous sommes, ce qui nous constitue, dans l’Histoire et dans le présent.


     
    Pour ma part, l’allemand et sa littérature sont toujours venus avant toute autre chose. Une langue d’exception, chantante et complexe, taillée à la fois pour la démonstration cérébrale (la langue de Kant), pour le théâtre (Brecht) et pour la plus raffinée des poésies (Hölderlin, Celan).
     


    Au cœur, au plus brûlant de ce notre débat d’été sur les langues en Suisse, j’avais juste envie de crier cela, qui est de l’ordre de la culture et de l’élévation : allez vers l’allemand, allez vers l’italien. Jamais vous ne le regretterez.


     
    Pascal Décaillet

     

  • Conseil d'Etat : déjà fatigué !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 10.09.14


     
    Le programme de législature refusé par le Parlement, des majorités de soutien de plus en plus difficiles à trouver, un collège sans cohérence et sans stratégie claire, des caisses de l’Etat vides, voilà à quoi ressemble le gouvernement genevois, moins d’un an après son élection. Sans compter les désaveux en votations populaires. Chaque magistrat, certes, fait ce qu’il peut pour le bien public. Mais on peine, pour l’heure, à entrevoir la moindre dynamique d’ensemble. Bref, le Conseil d’Etat 2013-2018, premier issu de la nouvelle Constitution, apparaît tout aussi fatigué que les collèges précédents. Pire : ces derniers montraient des signes d’usure en fin de législature, alors que celui-ci les affiche au début déjà de son mandat.
     


    Dix mois seulement après les élections, il faut déchanter : cette fameuse nouvelle équipe qu’on nous avait promise tout l’automne 2013, à coup de grands discours et de promesses, ce vent nouveau, cette cohérence, rien de cela n’est au rendez-vous. Il ne s’agit pas ici de mettre en cause le travail individuel de tel ou tel magistrat, dans son ministère. Mais de juger les signaux donnés par l’ensemble. Car enfin, si on élit sept conseillers d’Etat, on élit avant tout un gouvernement, qui doit briller par son énergie, son courage, son inventivité, sa résistance aux modes et aux pressions, et surtout sa vision stratégique. Ils ont beau se mettre au vert, se réunir extra muros, prendre du recul en des lieux ombragés, rien n’y fait : la lisibilité de l’action n’apparaît pas.


     
    Les causes sont multiples. Elles tiennent beaucoup au système électoral, fruit d’une nouvelle Constitution qui n’a pas poussé la logique réformatrice jusqu’au bout. Sans aller jusqu’à tisser des tapisseries de Bayeux, pour faire référence à l’éblouissant discours tenu en cette ville par Charles de Gaulle en 1946, qui jetait, avec douze ans d’avance, les bases d’une République nouvelle, il faut bien admettre qu’à Genève, les constituants se sont contentés, en termes de réforme gouvernementale, de cosmétique. On ne révolutionne pas un exécutif en ajoutant un an à la législature, ni en déléguant une seule personne à l’inauguration des chrysanthèmes. Résultat : le vrai visage politique du canton, tel que sorti des urnes dans l’élection législative, n’apparaît pas au gouvernement, où l’Entente (quatre magistrats sur sept, alors qu’elle ne représente qu’un gros tiers de l’électorat) est surreprésentée.


     
    Ces quatre Messieurs de l’Entente (deux PLR et deux PDC) vont donc passer la législature à encaisser des désaveux au Grand Conseil, et de plus en plus souvent devant le peuple. Ils y sont comme d’avance condamnés, victimes expiatoires d’un mauvais système. Ils s’en consoleront en multipliant les présences entre eux, dans les cocktails et les congratulations mutuelles de l’horizontalité genevoise du pouvoir. Cela leur fera peut-être du bien dans leur sentiment d’éternité au pouvoir, mais ne fera pas avancer le canton d’un millimètre. Triste début, en vérité, pour ce qui devait être la première équipe d’une nouvelle ère, rafraîchie et réinventée, et qui donne déjà l’impression de courir derrière son ombre. Sans jamais la rattraper.
     


    Pascal Décaillet

     

  • Bicentenaire : l'Histoire mise à l'écart

     

    Sur le vif - Mercredi 10.09.14 - 14.46h

     

    1814-1815 : un tournant majeur pour Genève, qui entre dans la Confédération, mais aussi pour la Suisse, qui s’enrichit, avec le Valais et Neuchâtel, de trois nouveaux cantons. Une mutation de la Suisse qui, comme toujours et loin du mythe d’un « peuple heureux » (Rougemont), s’est opérée sous pression extérieure. Et quelle pression ! La chute de Napoléon. 33 ans plus tard, c’est également en symbiose et en synergie parfaites avec les grandes Révolutions de notre continent (France, Allemagne, Autriche, Italie) que la Suisse créera son Etat fédéral. De même, en 1918, c’est exactement pendant les premiers jours de la Révolution allemande, si bien racontée par le romancier Alfred Döblin (November 1918), que notre pays vit cette fameuse Grève générale, qui traumatisa tant l’ordre bourgeois, marqua les mémoires au fer rouge, il suffit pour cela de lire la presse et la littérature des années vingt, trente et quarante. Non, notre pays n’a jamais été isolé (si ce n’est entre 1939 et 1945), il est un pays d’Europe comme un autre, ni meilleur ni pire, tout aussi sensible aux vibrations de l’ensemble du continent.

     

    1814-1815 : à Genève, les autorités multiplient les festivités du Bicentenaire. Et c’est là, hélas, le problème : non pas le Bicentenaire, mais l’omniprésence du pouvoir en place. On ne voit et n’entend que lui. Sous prétexte de commémoration, il passe son temps à se mettre en scène lui-même. Non dans l’exercice de la réflexion historique, mais dans celui de la mondanité répétée : Longchamp reçoit Burkhalter, François accueille Didier, les huit épingles qui tirent les deux hommes embarquent dans le même bateau, entre soi on se sourit, on se congratule. De loin, de la côte, avec des jumelles de chasse, faute de grive, on tente d’apercevoir les ministres, ils boivent un verre entre eux, sur le pont. Tant mieux pour eux. Mais c’est un peu juste.

     

    J’ai pas mal étudié les commémorations, et cite souvent ici les époustouflants « Lieux de mémoire », publiés chez NRF par l’historien Pierre Nora. Et je me dis que pour commémorer, il faut avant toute chose avoir de quoi se souvenir. Lorsqu’un pays – la France – a perdu un million et demi d’hommes au combat en quatre ans (du 2 août 1914 au 11 novembre 1918), soit une moyenne d’environ mille par jour, on peut aisément comprendre que les survivants, face à l’immensité du vide, l’omniprésence d’un deuil touchant chaque famille, le silence hébété de l’absurde (dont nous parlera Céline dès le Voyage), s’embarquent, à force de marbre et de bronze, dans l’aventure des monuments aux morts. Qui serions-nous, les Suisses, demeurés neutres pendant cette boucherie, pour oser leur articuler le moindre grief, même si le goût artistique des stèles et des Poilus de village n’est pas toujours à la hauteur de Rodin ?

     

    Mais Genève et 1814-1815, c’est autre chose. Nous commémorons assurément un événement important, mais enfin il n’est nullement porté par le tragique de l’Histoire, le rapprochement entre Genève et la Confédération s’étant opéré en douceur, progressivement, avec plusieurs dates-clefs échelonnées sur deux ans, comme l’ont très bien montré nos historiens. L’objet commémoré n’aura donc pas sur le public d’aujourd’hui la puissance d’émotion qui vous monte à la gorge lorsque vous vous rendez sur le mémorial d’un camp de la mort où dans un cimetière militaire du côté de Verdun. Le rapport du public ne passera pas par l’immédiateté d’un instinct : il faut, en profondeur, lui EXPLIQUER ce que nous commémorons, et pourquoi l’événement passé nous lie à notre présent. C’est ce que nous avions tenté de faire, infatigablement, un ou deux collègues et moi, à la RSR en 1998, lorsque nous avions monté nos innombrables émissions spéciales (décentralisées dans tous les cantons) autour du 150ème de l’Etat fédéral et du 200ème de la République helvétique.

     

    Cette tâche explicative, cette mission d’exégèse, ont-elles été accomplies à Genève pour ce Bicentenaire ? La réponse, sans faillir, est non. Nos autorités, toutes empressées à se mettre elles-mêmes en scène comme agents de commémoration, on largement négligé l’essentiel : l’Histoire elle-même, cette prodigieuse discipline qui constamment exige prise de distance, remise en question, retour aux sources et aux archives. Du coup, on célèbre, on concélèbre, on trinque, on se congratule, toujours les mêmes réseaux, toujours François avec ses quatre épingles, mais le plus important, la réinvention de l’éclairage historique, on le laisse de côté. Tout au plus quelques costumes, gentillets, juste dépoussiérés du cortège de 1964 (dont l’auteur de ces lignes, six ans à l’époque, garde un souvenir certes diffus, mais joyeux et coloré). Tout au plus, quelque camions de pompiers, à travers les âges. Mais sur l’encouragement au chemin intellectuel de la découverte historique, peu de choses. Tout aussi peu, hélas, sur la seule chose, au fond, qui vaille, dans un chemin de commémoration : l’actualisation brechtienne avec ce que nous sommes aujourd’hui. Car enfin, ce sont les hommes et les femmes de 2014-2015 qui commémorent, c’est à eux qu’on parle, à leurs consciences qu’on s’adresse, à leurs capacités de mémoire, d’imagination, de projection qu’on esquisse une mise en scène. Oui, j’aurais voulu un Brecht, ou un Heiner Müller, pour assumer avec élévation l’évocation de ces années-là. Hélas, nous n’eûmes que l’éternité épinglée de François, accueillant Didier, ou même (dans un numéro récent du Temps) face à son miroir. De ce Bicentenaire, nous retiendrons la ronde des commémorants, malheureusement alliée à la mise à l’écart de l’appel à l’Histoire.

     

    Pascal Décaillet