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  • Au milieu du chemin, Gide

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    Notes de lecture - Mardi 10.07.12 - 19.28h

     

    À quoi tient le miracle d'un récit ? Pourquoi « La porte étroite », publiée en 1909 par André Gide, vient-elle d'arracher mon ardeur, une fois de plus, comme d'ailleurs, toute ma vie, l'œuvre entière de ce narrateur d'exception ? Réponse : pour sa petite musique. Précision des syllabes. Cristallin de chaque phrase. Courte, indépendante, peu de virgules, quelques tirets, reprendre la respiration. Pas un mot de trop. Juste le découpé qu'il faut pour le dessein de celui qui entreprend de raconter : faire voir, laisser entendre, instiller la fragrance d'un jardin, le volume d'un bosquet. Cela s'appelle un style. Celui d'un auteur de génie en sa quarantième année, presque au milieu de son existence. Le milieu du chemin.

     

    Il faut toujours attaquer un récit par lui-même. Laisser faire les mots. D'autres, plus savants, placeront « La porte étroite », comme l'un des éléments de l'œuvre d'une vie, assurément un écho de « L'immoraliste », mais tant de résonances, autres, insoupçonnées, des écrits de prime jeunesse aux dernières lignes de la Correspondance et du Journal, bien sûr. Gide, comme tant de grands, n'aura peut-être, au fond, écrit qu'un livre, celui qui tourne autour de lui et pourtant lui échappe, à mille lieues de l'autobiographie que croit toujours déceler le lecteur facile, celui des repères chronologiques et des grilles d'interprétation toutes faites.

     

    « La porte étroite » est le récit d'un amour fou, total, impossible, celui de Jérôme, le narrateur, pour sa cousine Alissa, qui feint (ou ne feint pas) de lui préférer Dieu. Pas le moindre des rivaux, tout au moins dans l'ordre terrestre ! Alors quoi, du Claudel ? Le styliste qui se gausserait de ce puissant rival avec lequel il n'est pas encore brouillé ? Non ! Du Gide ! Et dès la première ligne. Simplicité qui n'appartient qu'à lui, temps concordés, et jusqu'à l'usage parfaitement dosé, là où il le faut et sans plus, de l'imparfait du subjonctif. Jamais ce dernier n'exclut le lecteur : il a pour seule fonction, comme dans le jeu des orgues ou de certains accordéons perfectionnés, de jouer sur la fuite des temps, la fugue des modes. Un style.

     

    Je ne vous raconterai pas l'histoire, ni la citation initiale de l'Evangile de Luc, ni la profondeur de la référence protestante (il y a évidemment un pasteur, imprégné d'Ecriture), ni ce trajet mystique d'Alissa qui la conduit au pire. C'est un récit sur l'attente, avec des lettres de feu, celles de Jérôme et d'Alissa, jamais plus justes que lorsqu'ils correspondent, plus maladroits que dans la présence réelle, comme si la vraie vie était gauche, et droite l'écriture. Et, à la fin, le Journal d'Alissa, qui serait porteur (l'est-il ?) de l'éclairage suprême.

     

    À vrai dire, un livre du dix-neuvième siècle. En apparence du moins, disons pour celui qui se refuserait à en goûter la très vaste dimension d'ironie, cardinale vertu de l'auteur des Nourritures terrestres. Mais attention : ironie n'est pas moquerie, ni même réelle distance. Juste inflexion, dièse ou bémol, là où il le faut, pour échapper à la fatalité d'une clef de départ. En cela, Gide n'est pas claudélien. Et d'ailleurs Claudel, non plus, n'est pas celui qu'on croit, je veux dire l'éternel mystique du pilier de Notre-Dame. Gide est tellement joueur, oui au sens de l'organiste. A chaque chapitre, parfois à chaque phrase, vous croyez le ton donné, et voilà qu'infléchi, il vous échappe déjà.

     

    Comme Alissa, sans doute, semble échapper à Jérôme. Pour aller, dit-elle, vers Dieu. Mais c'est une autre affaire. Ou peut-être l'affaire elle-même. Je n'en sais rien. Il faut lire Gide, à haute voix. En pesant les virgules. Et en laissant juste s'évaporer la petite musique. Comme dans la nuit.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • L'avis du Conseil fédéral. Bof !

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 06.07.12



    Ce mercredi 4 juillet, le Conseil fédéral a recommandé de rejeter sans contreprojet l'initiative de l'UDC dite « contre l'immigration de masse ». C'est bien : le gouvernement de ce pays a bien le droit de donner son avis. Mais, si j'ose me montrer quelque peu impoli envers cette éminente instance, j'ai juste envie de dire que son opinion sur une initiative populaire, c'est intéressant dans le dossier, sans plus. En un peu moins poli encore : la prise de position du Conseil fédéral, on s'en fout.

    Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce qu'une initiative, et c'est là le miracle de notre système suisse, n'est pas l'affaire du Conseil fédéral. Ni celle du Parlement. Je ne parle pas ici des questions d'invalidation, mais bien du fond. Une initiative, c'est une affaire du peuple avec le peuple. Le défi d'une poignée d'hommes et de femmes au début, de plus en plus nombreux lors de la phase de récolte de signatures, face au souverain ultime, qu'on appelle « le peuple », le suffrage universel. Ça passe ou ça casse. On peut rater la récolte de signatures (le PLR en sait quelque chose avec son texte sur la bureaucratie), rater la validation, et surtout échouer, un certain dimanche, devant le peuple. La prise de risques est immense, il est des baffes dominicales dont on ne se relève pas. Il est, au contraire, des triomphes qui vous font entrer dans l'Histoire, exemple Franz Weber, pardonnez-moi de citer ce nom dans ces colonnes.

    Alors oui, j'ai toujours trouvé qu'on attachait beaucoup trop d'importance à l'avis du Conseil fédéral. Voilà une instance qui dispose déjà du pouvoir suprême. Elle tient les rênes de l'exécutif, dirige l'administration, édicte des messages à l'attention du Parlement, bref gouverne. L'idée même de l'initiative, encore plus que du référendum, est justement de faire agir, dans le pays profond, des leviers politiques hors de ce cénacle-là. Hors de ce jeu de miroirs, dans la molasse du Palais fédéral, entre exécutif et législatif, 253 personnes en tout. Justement pour corriger leurs erreurs. Sanctionner leurs errances. Leur ouvrir les yeux sur des réalités telluriques que, de leurs altitudes, ils auraient oubliées.

    Nous sommes là dans un mécanisme correctif, l'un des meilleurs du monde, que d'aucuns, à commencer par nos amis français, nous envient. Alors oui, que le Conseil fédéral donne son avis, aucun problème, mais sans plus. Cet avis n'a pas plus d'importance que celui de sept citoyens sur environ quatre millions que compte notre corps électoral. Il n'y a donc pas lieu, cet avis, de le sanctifier. A moins, bien sûr, de faire partie de cette caste politico-médiatique qui gravite autour du pouvoir en place, tellement qu'elle s'en trouve satellisée. En résumé, le jour où vous voterez sur ce texte, n'écoutez que votre intime conviction. Votez oui, votez non. Mais ne le faites pas en fonction de l'avis du Conseil fédéral.



    Pascal Décaillet

  • La Garde meurt, mais n'émigre pas

     

    Sur le vif - Mercredi 04.07.12 - 09.41h

     

    Adorable Tribune de Genève. Elle semble découvrir aujourd'hui, comme mille grêles après mille vendanges, l'existence d'une Garde Noire auprès d'un conseiller d'Etat. Et s'étonner que cette Garde, pudiquement appelée "rapprochée" suive son maître, lorsqu'il change de Département.

    On notera au passage l'extraordinaire marge de manœuvre de la chancelière, dont ce genre de choses devrait relever, et qui préfère renvoyer au... conseiller d'Etat concerné! On notera enfin à quel point ledit magistrat, dans une interview laconique, nous promène, en définissant désormais comme "transversal" l'échelon des secrétaires généraux, juste parce que ça l'arrange, alors que cette fonction était jusqu'ici attachée aux Départements.

    Bref, à peine a-t-on l'impression, avec l'arrivée de Pierre Maudet, puis la nouvelle répartition, d'un bain de jouvence du Conseil d'Etat, aussitôt hélas cette heureuse nouvelle se trouve affaiblie par le retour de l'arbitraire et la sauvage mainmise sur les prébendes. Et par qui ? Pas les mêmes, toujours. Les griffes du pouvoir sont d'une petite mère jalouse, hors de soi et possessive.

     

    Pascal Décaillet