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  • Monsieur Brel, vous me manquez


    Jacques Brel, arraché à ce monde par le cancer, à l’âge de 49 ans, il y a tout juste trente ans, n’était pas seulement un grand poète et un immense chanteur. Il était la vie même, sa stridence et sa fureur, sa passion, ses excès. Dans ma chambre d’adolescent, à longueur de soirées, je n’écoutais que lui. Et puis Ferré. Et puis Barbara. Le reste, je n’y connaissais rien. Ces géants-là me suffisaient.

    Si vous pouvez, écoutez la Radioscopie que lui avait consacrée Jacques Chancel au printemps 1973, sur France Inter, à l’occasion du Festival de Cannes, où Brel était venu présenter un film, d’ailleurs mauvais. Ce garçon-là n’était pas cinéaste, évidemment ! Il n’était fait que pour une chose : chanter sur une scène, se lacérer l’âme en public, crier sa douleur, ou sa joie, en les transfigurant par des mots.

    Chez Chancel, Brel se raconte. L’enfance, la solitude, la guerre qui dure trop longtemps, la peur des femmes, la fureur de se dépasser. Quatre ans après, il est encore cet Homme de la Mancha, ce héros à la triste figure qu’il avait si sublimement incarné sur les planches. Il lui reste quatre ans à vivre. Le sent-il ? Le sait-il ?

    J’ai vu six fois Ferré sur scène, deux fois Trenet, jamais Brel. Comme tant de gens de ma génération, je traînerai toujours ce regret de n’avoir pas eu sous les yeux la plus formidable bête de scène de la grande chanson française. Il nous reste le film de ses chansons, le miracle noir et blanc de cette pellicule si précieuse, Bobino, l’Olympia, cette énergie et cette sueur, ce désespoir et pourtant cette folie de vivre. Ce sourire, aussi, avec ces dents immenses, cette gueule d’enfant, ce regard parfois si tendre.

    Jacques Brel était bien davantage qu’un simple génie. Il était juste un homme. Un écorché d’humanité qui avait abouti dans cette vie, et réussi à dire avec des mots, et des notes, le fond de ses sentiments. Un homme n’a pas pour fonction d’être meilleur qu’un autre, ni pire. Mais d’être ce qu’il est, même si ce chemin-là est justement le plus dur.

    Chantait-il, ou bien, au fond, tentait-il d’accomplir un destin ? Ce qui est sûr, c’est ce que cette voix, ce verbe, cette sainte fureur, je les emporterai partout. Ici, et ailleurs. Dans ce monde, et dans d’autres.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • François Longchamp au DIP ?



    Samedi 04.10.08  -  14.45h

    Il y a deux semaines, le président des radicaux genevois, Hugues Hiltpold, qui n’est pas exactement une tête brûlée, déclarait, le plus placidement du monde, que la reprise du Département de l’Instruction publique par François Longchamp, après les élections de 2009, était à mettre au rang des hypothèses envisageables. C’était, évidemment, une bombe.

    Assurément, la petite phrase d’Hugues Hiltpold ne devait rien au hasard. Assurément, elle avait été mûrement préméditée. Assurément, Hiltpold et Longchamp avaient préparé le coup. Cela, en politique, arrive souvent : ballon d’essai, ou fusée éclairante, c’est classique. On lance l’idée, comme ça, dans l’opinion publique, histoire de tester les réactions. Bien entendu, François Longchamp restera silencieux sur le sujet. Lancer des spadassins sans s’exposer soi-même, est, par les temps qui courent, un sport national au sein du Conseil d’Etat genevois. Deux des quatre magistrats de gauche, par hommes de main interposés, y excellent.

    Sur le fond, l’hypothèse dépend de tellement d’incertitudes que toute spéculation, à plus d’un an de l’échéance, paraît vaine. Le principal intéressé, Charles Beer, aurait-il envie, fin 2009, d’un échange de portefeuilles ? Question à laquelle il ne répondra pas – il ne peut politiquement le faire – avant le dernier moment. Surtout, quels seront les rapports de forces, issus des urnes, au sein du Grand Conseil et du Conseil d’Etat ? Les socialistes seront-ils toujours deux au gouvernement ? Quel résultat aura obtenu, dans les urnes, l’initiative 134 (« Pour un Cycle qui oriente »), le 30 novembre 2008 ? Le principe des 93 directeurs du primaire aura-t-il réussi à s’imposer ?

    Plus fondamental encore : en quoi un changement de couleur politique du capitaine permettrait-il vraiment de faire changer de cap un bateau connu pour sa lourdeur ? Partout dans le monde, ministre de l’Instruction publique, c’est un casse-tête : puissance des syndicats, grogne récurrente des parents, vagues de réformes qui finissent par mourir sur la grève. À cela s’ajoute, dans l’hypothèse d’une reprise en main par un magistrat bourgeois, le nombre impressionnant, à Genève, de hauts fonctionnaires d’obédience de gauche. Franchement, sans un immense courage, allié à une puissance de vision sur l’avenir et les objectifs à atteindre, l’opération apparaît comme trop coûteuse, trop risquée politiquement.

    À la petite phrase de Hiltpold, il y a peut-être, pourtant, une amorce de réponse, ou tout au moins une très habile ouverture du jeu sur une nouvelle donne, « New Deal ». Elle se trouve en page 19 du Temps de ce samedi 4 octobre. Cette page, outre qu’elle consacre le génie absolu du photographe Eddy Mottaz, nous apprend que Charles Beer verrait bien la création d’un ministère cantonal de la Culture. En serions-nous déjà, à plus d’un an de la nouvelle législature, à d’embryonnaires scénarios de redécoupages ? Bien entendu, l’intéressé niera tout lien entre ce projet et l’allusion d’Hugues Hiltpold. Jusqu’au lendemain des élections de 2009, Charles Beer ne dira rien de plus, François Longchamp non plus. Ils laisseront jouer les émissaires et les spadassins. Ainsi va la politique. Excellent week-end !

    Pascal Décaillet

  • Samuel Schmid seul contre lui-même

    Chronique publiée dans le Giornale del Popolo du jeudi 02.10.08

     

    Cette session d’automne 2008 aura présenté, avec le débat sur l’armée et celui sur le programme d’armement, l’une des lignes de front les plus surréalistes depuis la très regrettée guerre de 14-18. Un ministre seul au monde, seul contre tous, seul contre lui-même, nu, au milieu de nulle part, dans un grand terrain vague où ne règne plus qu’une épaisse fumée. Pas la fumée blanche des papes, non : juste celle, grisâtre, opaque, de l’incertitude, et, peut-être même, de la déroute. De quoi lui rappeler, comme dans « Amarcord », quelques délicieux souvenirs d’enfance : non pas Rimini, hélas, mais le Seeland, et la suave humidité de ses marécages.

    Aux Chambres fédérales, on a discuté des chars sans y croire, on a parlé des avions sans vraiment s’y intéresser : le problème, manifestement, n’était pas là. Il était – mais nul ne l’avouait vraiment – dans l’extrême fragilité politique de Samuel Schmid, conseiller fédéral sous perfusion : on guette l’encéphalogramme, on se demande combien de temps il tiendra. Tout est prêt, déjà : les fleurs, l’ultime oraison, le cortège. Et, bien sûr, quelques successeurs. Prêts à bondir, tous. Mais simulant l’indifférence. Comme dans un jeu de séduction qui, bien sûr, ne dupe personne. Mais c’est le jeu.

    Sur quelle alliance s’est construit le rejet du programme d’armement ? Sur un compromis de passage, aussi hasardeux qu’il est dénué de sens, entre l’UDC blocherienne (ce qui demeure, au passage, un pléonasme) et la gauche rose-verte. La belle alliance ! Le voilà donc, l’axe du monde de l’après -12 décembre ! La vague mixture des partisans de l’armée de papa avec ceux qui, au fond, rêveraient de l’abolir. Parler d’alliance malsaine est un euphémisme : nous sommes là dans le degré zéro de la politique. Même les brumes du Seeland, dans toute leur fatigue d’automne, sont le soleil d’Austerlitz, en comparaison.

    Dans ce casse-pipes ouaté d’incertitude, un seul axe de cohérence demeure : la fidélité – un moment encore – des radicaux et des démocrates-chrétiens à la construction raisonnable d’une future politique de sécurité. C’est bien. Mais c’est trop tard. L’UDC a obtenu ce qu’elle voulait : venger le 12 décembre, venger Blocher, humilier le parlement et, plus encore, celui des conseillers fédéraux qu’elle tient pour un traître. Pour y parvenir, elle n’a pas hésité à prendre en otage le thème, pourtant essentiel, de l’avenir de notre politique de sécurité. On savait déjà que cette législature allait être celle de l’impossible. Elle est bien partie, aussi, pour devenir celle du ridicule. Heureusement, ce dernier, contrairement aux guerres et aux batailles, ne tue pas. Ou alors, tout juste, symboliquement. Comme aux échecs. Ou comme dans les rêves d’automne.

     

    Pascal Décaillet