Sur le vif - Mercredi 27.12.23 - 19.42h
De Jacques Delors, qui nous quitte aujourd'hui à l'âge de 98 ans, il faut retenir les clartés d'une intelligence, les feux d'une lucidité, la foi en une entreprise, celle de l'Europe. De tous les Présidents de la Commission européenne, il est celui qui a le plus marqué les consciences, fut le plus respecté, impressionnait le plus par la rigueur de son tracé.
Trop pur, au fond, pour l'action politique, qui exige opportunisme et ductilité, sens de l'adaptation, rouerie madrée, en un mot François Mitterrand. Le Président sortant avait eu ce mot, qui résume tout Delors, en 1995 : "Il voudrait bien être Président, mais ne veut pas être candidat".
Delors était-il un politique ? La réponse est non. Un très grand administrateur, un démocrate-chrétien (famille bénie en Allemagne ou en Italie, maudite en France) à forte sensibilité sociale-démocrate, bref un homme très bien. Mais en politique, être un homme bien n'a aucune importance : il faut être un combattant, un tueur, un chef. Delors n'était ni l'un, ni l'autre, ni l'autre.
Alors, pourquoi l'encenser ? Parce qu'il a eu, de l'Europe, une authentique vision. Oh, sans doute exagérément catholique, démocrate-chrétienne, Saint-Empire, diocésaine, toutes choses de souche plus germaniques ou italiennes que françaises, mais enfin il avait la largeur de vues, la cohérence, la hauteur d'approche, l'intelligence.
Jacques Delors, ironie de la Grande Faucheuse, nous quitte quelques heures après une autre grande conscience européenne, Wolfgang Schäuble (1942-2023), grande figure de la démocratie-chrétienne allemande. Delors, Schäuble, c'était le temps où la construction européenne faisait encore rêver. C'était avant le réveil des nations, la colère des peuples face à la bureaucratie de Bruxelles. Il n'est pas sûr du tout que le modèle qu'ils ont incarné leur survive longtemps.
Delors, Schäuble. Il faut rendre hommage à la mémoire de ces deux hommes. Il faut, comme Suisses, aimer passionnément l'Europe. J'entends par là le continent qui est nôtre, ses racines, son Histoire, ses langues, sa civilisation. Il nous faut cultiver les meilleures relations avec nos voisins, les Allemands, les Français, les Italiens. Mais désolé, le modèle Delors s'écroule. Les élections européennes, dans six mois, confirmeront la percée des visions nationales. Il faudra, dans les décennies qui viennent, une autre Europe que celle de Jacques Delors. Une Europe qui parte des nations souveraines, et non d'un centralisme bureaucratique aujourd'hui universellement rejeté.
Hommage, quand même, à Jacques Delors. Pour sa rigueur. Son austérité. La dignité de sa posture. C'est un homme de qualité qui nous quitte aujourd'hui.
Pascal Décaillet