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  • Electricité : le bien commun, ça passe par l'Etat !

     
    Sur le vif - Dimanche 18.09.22 - 09.56h
     
     
    Et le Matin dimanche qui arrive encore à nous chanter les louanges de la libéralisation du marché de l'électricité ! Il leur faut quoi, pour comprendre ? La panne généralisée, dans l'Arc lémanique, par une saisissante aube de janvier ?
     
    Je suis un petit entrepreneur, partisan de la concurrence. Très sévère face à l'Etat-Providence, l'Etat glouton, l'Etat qui tond les classes moyennes, l'Etat qui entretient sa propre machine, l'Etat qui ose encore créer 488 nouveaux postes, alors que son déficit dépasse les 400 millions. Bref, l'Etat, version gauche gouvernementale genevoise.
     
    Je suis tout, sauf un homme de gauche. Je réclame moins d'impôts, moins de taxes, moins de fonctionnaires. Mais il est, à mes yeux, des domaines relevant du bien commun. Ceux, au fond, que produit la nature, sur cette planète aimée que nous voulons préserver, ce n'est pas le monopole des Verts. L'eau, l'électricité, la faune et la flore, entre beaucoup d'autres, en font partie.
     
    "Mais mon pauvre ami, tu veux un monopole d'Etat, on a vu les résultats !", me rétorquent les ultra-libéraux. Un monopole, je ne sais pas, mais des sociétés productrices et distributrices d'électricité qui soient au service du plus grand nombre. Comme pour l'eau. Cela s'appelle l'intérêt commun.
     
    A cela s'ajoute que l'énergie est d'importance stratégique pour notre pays. Une question de survie. De souveraineté. D'indépendance. Je ne diabolise pas le privé. Mais disons que ma confiance dans son patriotisme économique n'est pas illimitée.
     
    Alors oui, je prône depuis un quart de siècle (et j'étais bien seul, à droite, dans cette fin des années 90 où il fallait tout maladivement privatiser) des solutions d'Etat pour l'eau et l'électricité. Non par passion pour la machine, quelle horreur ! Mais parce que j'ai étudié à fond l'Histoire de l'Etat dans nos pays d'Europe, principalement en France (depuis Philippe le Bel, en passant par Louis XI et Colbert), en Allemagne (Bismarck), en Suisse. J'ai une culture d'Etat. Une connaissance de l'Etat. Je ne l'idéalise pas. Je le déteste, dès qu'il devient tentaculaire. Mais s'il se met au service du plus grand nombre, dans un grand dessein d'épanouissement de l'humain, et non de profit facile, alors je dis oui, il faut lui laisser sa chance.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Ukraine : l'équation allemande

     
    Sur le vif - Samedi 17.09.22 - 10.48h
     
     
    Depuis des années, ici même, j'appelle à considérer l'expansion économique et commerciale de l'Allemagne, depuis trente ans, vers l'Europe centrale et orientale. Pologne, Pays-Baltes, Hongrie, Tchéquie, notamment.
     
    Dans ces pays, qui correspondent d'ailleurs exactement aux différents théâtre d'opérations d'une autre avancée allemande, il y a 80 ans, d'immenses sociétés sont certes dirigées par des gens du lieu, mais... les capitaux sont en mains allemandes. En clair, l'Allemagne, depuis la chute du Mur, a réinventé son tropisme vers l'Est "par d'autres moyens", aurait dit Bismarck. Pas un coup de feu. Applaudissements dans la "communauté internationale", entendez l'ordre vassal des Etats-Unis d'Amérique.
     
    Beaucoup mieux : une certaine satisfaction dans les pays concernés, ravis de voir leur niveau de vie augmenter. Commencent certes à poindre, dans ces pays, des partis nationaux, dénonçant la tutelle germanique. Ils sont aussitôt traités de populistes, d'extrême droite, d'ultra-nationalistes, par la doxa de l'Ordre américain. Leur crime : défendre la souveraineté économique et politique de leurs patries.
     
    C'est dans ce contexte, que (vous m'en donnerez acte) je rappelle toujours en détails dans mes textes sur la question, qu'il faut placer l'évolution de l'Allemagne dans l'affaire ukrainienne. Scholz n'est pas Merkel. Et il est, hélas, à des années-lumière du grand Willy Brandt, figure de légende de son parti, à Scholz, le SPD, l'une des grandes familles politiques à avoir construit l'Allemagne moderne.
     
    Scholz est un atlantiste. C'est contraire aux fondamentaux les plus sacrés de son parti, l'Ostpolitik, sublimée par Brandt, entre 69 et 74. Mais les Américains doivent se méfier de l'Allemagne. Et les Européens aussi. Aujourd'hui, la quatrième puissance économique du monde nous entonne encore la chanson de l'élève modèle, celui qui cherche à plaire à l'Oncle Sam. L'Allemagne investit cent milliards, votés sur le siège, rubis sur l'ongle, pour se remilitariser. Le réarmement le plus important depuis 1935. Les gens, dans l'Ordre américain du Juste et du Bon, bavent de satisfaction : "Regardez les Allemands, comme ils sont formidables, ils vont aider les gentils Ukrainiens".
     
    Ils vont les aider ? Peut-être. Mais jusqu'où vont-ils s'impliquer eux-mêmes ? A terme, que vont-ils faire de toutes ces armes ultra-modernes, fabriquées avec la bénédiction de l'ineffable "communauté internationale" ? Qui, un jour, succédera à Scholz ? Comment lui-même, face à la nécessité des choses, peut-il évoluer ?
     
    Les Américains ont pris pied sur sol européen un an avant le Débarquement de Normandie. C'était en 1943, en Sicile, puis sur la botte italienne, montagneuse et revêche, où la résistance de la Wehrmacht, par la Ligne Gothique, leur a mené une vie incroyablement dure. Ils sont donc sur notre continent, puissance étrangère, depuis bientôt 80 ans. Il n'est pas dit qu'ils y demeurent éternellement. Leur propre opinion publique, depuis 1776, ne cesse d'osciller entre expansionnisme et isolationnisme.
     
    Disciples de Clausewitz et Bismarck, n'écoutons pas les paroles, regardons les faits : le visage du réel, c'est celui d'une Allemagne dans une forme extraordinaire, géant économique, en pleine reconstruction de sa stature politique, ayant placé l'une des siens à la tête de la Commission européenne (où elle oeuvre à un bellicisme d'inspiration churchillienne), et surtout en expansion continue sur les Marches de l'Est. Jamais l'Allemagne n'a été aussi efficace, dans l'inexorable lenteur de sa pénétration. Là où la Blitzkrieg, fulgurante et théâtrale en percée de font, avait fini par se briser les reins sur le réveil des patriotismes opprimés, la vieille patience bismarckienne, concrète, sonnante et trébuchante, sourit au destin allemand.
     
    Là où les divisions du 22 juin 1941 avaient fini par échouer, face au réveil du patriotisme russe (car c'est sur ce front, et non à l'Ouest, que la guerre s'est jouée), le Drang nach Osten est en train de réussir. Sur le même terrain. "Par d'autres moyens". Pas un coup de feu. Des capitaux allemands, pour contrôler les entreprises d'importance stratégique.
     
    Dans cette lecture-là, la maîtrise de l'Ouest ukrainien, exactement sur les lignes de partage qui ont toujours existé entre influence russe et tropisme vers la Mitteleuropa, loin d'être un détail de l'Histoire, apparaît sous son vrai visage : celui d'une progression dûment préméditée, depuis de longues années, des intérêts économiques allemands jusqu'aux frontières de la Russie.
     
     
    Pascal Décaillet

  • La mer. Celle qui nous submerge.

     
    Sur le vif - Vendredi 16.09.22 - 17.29h
     
     
    Winter in der DDR : une image, parmi des milliers d'autres, sur un site d'archives de l'Allemagne de l'Est, en ligne. J'en suis très friand. Un village, quelque part, sous la neige. En Thuringe ? En Prusse ? En Saxe ? Un couple, de dos, qui se tient par le bras, ne pas glisser ! Une Trabant, sur la route blanche. Quelques maisons de bois, aux toits très pentus. Au fond, derrière les sapins, le clocher d'une église, sans doute luthérienne.
     
    L'image est en noir et blanc. Elle est belle, apaisante. C'est en DDR, mais franchement, ça pourrait parfaitement être dans la Forêt-Noire. On est tellement loin de l'imagerie de la grande plaine du Nord de la Prusse, celle du Mecklenburg-Vorpommern. Il faut toujours dire "Les Allemagnes", si on veut parler un peu sérieusement.
     
    L'image court, sur le fil. Sous elle, plus de 800 commentaires des internautes, abonnés au réseau. Tous en allemand. Et 99%, venant d'Allemands de l'Est. Ces commentaires m'ont bouleversé. Partout, la nostalgie. Partout, "C'était mieux avant". Ils ne regrettent pas le régime, ces gens-là, ils ne regrettent pas la Stasi. Ils ne regrettent pas Honecker, bien sûr que non.
     
    Alors, que regrettent-ils ?
     
    Lisons-les. Ils regrettent leur jeunesse. "C'était une époque tranquille". "Nous n'avions pas de soucis". "Dis, tu te souviens, on se chauffait au bon vieux charbon". "Quelqu'un peut-il situer ce village, il me semble que c'est........". "Cette époque me manque".
     
    Ils regrettent les neiges d'antan, comme dans le poème de François Villon. Ils regrettent leurs enfances. Tous ces visages passés, aimés, perdus. Il regrettent cette période de leur vie, et le disent par des très courts messages, et c'est tellement touchant, tellement troublant.
     
    J'ai été prof d'allemand. J'ai lu des textes avec mes élèves, Brecht notamment. Si je devais, aujourd'hui, expliquer à des jeunes ce qu'est le puissant, l’indicible, l'intraduisible sentiment appelé "Sehnsucht", avant même de leur balancer les grands poètes romantiques, Novalis, Eichendorff, Heine, je leur ferais lire ces 800 commentaires.
     
    Chaque intervention est brève, lapidaire parfois. Il y a des fautes, on sent que tout le monde intervient, pas seulement les gens de plume. Il y a du verbe actif, des images, des indépendantes saccadées, très peu de principales et de subordonnées. Le langage n'est pas articulé, ils ne cherchent pas à démontrer, nous ne sommes pas dans l'Aufklärung, pas dans Kant, pas dans Hegel. Nous sommes dans un collage de fragments de la vraie vie.
     
    Nous sommes dans 800 internautes anonymes d'aujourd'hui, fin d'été 2022. On sent des gens d'un certain âge, avec un passé, une mémoire, des cicatrices, des océans de nostalgie.
     
    Ca n'est pas un fil de commentaires, c'est la mer. Celle qui nous caresse. Celle qui nous submerge.
     
     
    Pascal Décaillet