Sur le vif - Samedi 05.03.22 - 17.50h
Né il y a, jour pour jour, cent ans, à Bologne, et retrouvé assassiné sur la plage d'Ostie la nuit qui sépare la Toussaint du Jour des Morts 1975, Pier Paolo Pasolini est l'une des figures qui ont intensément marqué ma jeunesse. Le cinéaste, l'un des plus grands. Le poète, avec un usage sans pareil des mots et des rythmes de la langue italienne. L'écrivain. Le rebelle. L'inclassable.
J'ai aimé passionnément ses films, que j'allais voir à leur sortie, ou chez l'excellent Rui Nogueira, au CAC Voltaire. J'ai découvert ses textes. J'ai contemplé l'irruption de cet homme dans la vie terrestre, une existence à la fois étrangement décalée et totalement présente dans l'essentiel. Il est né quelques mois avant l'ère fasciste (qui commence fin octobre 1922), il l'a traversée d'un bout à l'autre, hors du monde et parfois, les événements le voulant (la mort de son frère, par exemple), terriblement dans le monde. Parfois, l'Histoire le heurtait, parfois il donnait l'impression d'être ailleurs. Mais je connais peu d'hommes aussi présents que lui.
L'Italie de l'après-guerre, miséreuse les premières années, celles du cinéma néo-réaliste, puis étouffant plusieurs décennies sous le poids du convenable, incarné par l’Église et la démocratie chrétienne, n'était pas la sienne. Trop prévisible. Trop atlantiste. Trop normée. Trop obsédée par la régulation de la vie privée. Cette société lui était étrangère, mais l'Italie, il en aimait passionnément la langue, les peintures, les figures bibliques, les mots, les musiques.
Il faut voir, et revoir, son Vangelo secondo Matteo (1964), incomparable restitution néo-testamentaire, avec un Christ sec, sobre, limite antipathique, 137 minutes d'intensité, d'inattendu, noir-blanc, où la parole biblique file comme la comète. Là aussi, Rui Nogueira, années 80, Ciné-Club CAC Voltaire, moments de grâce, transgressions des convenances, merci Rui !
Une nuit de novembre, alors qu'il avait 53 ans, on a retrouvé le corps de Pier Paolo Pasolini sur la plage d'Ostie, celle où va se baigner, pour fuir l'été torride, le peuple de Rome. Il faut aller là-bas, à Rome, avec les meilleures chaussures du monde, il faut marcher, et marcher encore, il faut prendre le métro, ou le train régional, direction Ostie, il faut arpenter le Lido, il faut penser à Énée, à Virgile. Et puis, tout naturellement, sans qu'il soit besoin d'un seul mot, la figure de Pier Paolo, en gisant de hasard, recroquevillé sur le sable, vous apparaîtra. Et je crois pouvoir dire qu'elle vous adressera le sourire de l'essentiel.
Pascal Décaillet