Sur le vif - Mardi 08.02.22 - 10.03h
Les journalistes deviennent malades à l'idée que les gens sont assez grands pour s'informer sans eux.
Assez mûrs pour discerner eux-mêmes la bonne information de la propagande. Celle d'un gouvernement, entre autres exemples.
Assez avisés pour débattre entre eux, commenter eux-mêmes l'actualité, confronter les points de vue.
Le public n'a absolument pas besoin du paternalisme tutélaire de "la presse" pour "se forger une opinion". Nous sommes des hommes et des femmes libres, éduqués, cultivés, dotés de sens critique, capables de révolte face aux doxas dominantes. Nous n'avons nul besoin que des journalistes nous tiennent la main pour nous conduire à leur école, à eux.
Nous lisons des milliers de livres d'Histoire. Nous savons que le réel n'est pas univoque, mais polyphonique. L'une de mes grandes passions : l'Histoire de l'Algérie, entre 1830 et 1962. Pour tenter de se construire une connaissance, il faut tout lire, embrasser toutes les visions : celles des Musulmans, celles des Juifs d'Algérie, celles des colons, celles des résistants, celles des villes, celles du bled lointain, celles des Berbères. C'est la complexité acceptée qui génère la lucidité.
J'ai étudié d'infiniment près l'Histoire du journalisme, de Théophraste Renaudot jusqu'à nous jours. J'ai étudié, comme on sait, l'Affaire Dreyfus, pour une Série historique en 1994. J'ai lu des milliers de journaux de l'époque. On peinerait à faire de moi un ignare des choses de la presse.
Aujourd'hui, je vous le dis, c'est fini. La grande aventure du journalisme, vraiment née au début du 19ème, avec la Révolution industrielle et les Illusions perdues de Balzac, touche à sa fin. Elle aura marqué l'Histoire pendant deux siècles. Encore quelques décennies, que sais-je, on ne meurt pas si facilement.
Mais c'est fini. Le public a besoin d'informations. Besoin de pôles de références, de connaisseurs de tel ou tel sujet. Il a besoin d'esprits cultivés, curieux, ouverts. Besoin de débattre. Besoin du choc des antagonismes. Besoin de donner son point de vue. Tout cela, il peut le faire sans les journalistes. Mieux : il le fait déjà ! Et c'est précisément ce qui transperce les journalistes de jalousie.
Alors, dans une ultime scène de Roi shakespearien tirant sa révérence, ils nous disent : "Nous sommes indispensables à la démocratie".
Ils ne le sont pas.
C'est aussi simple, aussi cruel, que cela.
Pascal Décaillet