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Elektra : la vie qui va, la vie qui fuit

 
Sur le vif - Samedi 05.02.22 - 17.35h
 
 
Que fait Richard Strauss, dans Elektra ? Il entre en matière dès la première seconde, immédiatement, sur le livret d'Hofmannsthal. Pas d'intro. Pas d'ouverture. Pas d'annonce des leitmotive. Le spectateur se dit qu'il a dû rater le début. Il vient saisir en cours, abruptement, la suite d'une histoire, dont les origines sont infiniment antérieures à son arrivée. Quelle histoire ? Celle de la malédiction, chez les Atrides.
 
J'ai vu le spectacle hier soir, vendredi. Je connaissais la musique, et depuis 43 ans le texte de Hugo von Hofmannsthal. Mais à la première note, au Grand Théâtre de Genève, toute ma mémoire est partie en poussière. Dès la première seconde, Strauss vous saisit. Il vous emporte : le Roi des Aulnes ! Et jusqu'à la dernière note, il vous tient. Texte court, opéra court (moins de deux heures). OSR et Jonathan Nott en totale présence avec les chanteurs. Mise en scène sobre (Ulrich Rasche), ouverte aux interprétations du spectateur. Pas le moindre froufrou. Pas le moindre archaïsme. Rien d'inutile, vous m'entendez : rien. La densité, à l'état pur. L'opéra, ça doit être cela, cette simultanéité avec nos vies. Être cela, ou n'être rien.
 
Elektra (Ingela Brimberg) est extraordinaire. Dès les premières minutes, avec l'invocation à son père, Agamemnon, jusqu'à la danse finale, une fois justice rendue, en passant par la bouleversante scène de retrouvailles avec son frère Oreste, cette cantatrice suédoise nous transperce l'âme. Mais tous les autres, aussi, avec une attention particulière à Chrysothémis (Sara Jakubiak).
 
La mise en scène ? Je n'ai pas eu à fermer les yeux. Car celle-là, pour une fois, est totalement au service de la musique et du livret. Vous en entendrez parler par d'autres, d'ailleurs hélas les discussions, à l'issue du spectacle, ne portaient que cet aspect visuel, alors que nous sortions d'une oeuvre de Richard Strauss, l'homme qui a pulvérisé les codes, sublimé les voix féminines, collé au millimètre ses notes ensorcelées sur chaque syllabe du poète et dramaturge autrichien Hugo von Hofmannsthal. Nous sortons d'un tétanisant concert, d'instruments et de voix, électrique, nucléaire, comme un jet de neutrons, comme une fission explosive, dont l'inspirateur aurait pu être Max Planck, exact contemporain de Strauss. Nous sortons de cette mathématique de l'incandescence, et il ne faudrait commenter que ce qui fut donné à l'oeil.
 
Ce cylindre, tout de même. Il tourne, dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. Les personnages le remontent à l'envers, tentent de s'agripper au monde des vivants. Le tourniquet de l'inéluctable : il faut que "l'acte" s'accomplisse, il faut qu'Egisthe soit tué, il faut qu'Agamemnon soit vengé par "ceux de son sang". Cette mise en scène est une réussite. Par sa densité. Sa simplicité. Sa sobriété. Costumes noirs, qui collent à la peau. Pas de couleurs, rien qui puisse distraire. Juste les voix, dans leur exceptionnelle puissance (Electre). Juste l'incroyable richesse de la musique de Richard Strauss. Au milieu de sa vie (1909). Au sommet de son art.
 
Dans cette oeuvre immense et géniale, il faudra peut-être attendre les Métamorphoses, sublimation des cordes sortie en avril 1945, au milieu de l'Apocalypse du monde germanique, quatre ans avant la mort du maître, pour retrouver une telle intensité de vie. La vie qui va, la vie qui fuit.
 
 
Pascal Décaillet

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