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Bernard Haitink (1929-2021) : un portrait d'homme, juste égaré dans l'essentiel

 
Sur le vif - Mardi 07.12.21 - 15.30h
 
 
Comme je l'ai fait, ici et sur mon blog, le samedi 23 octobre dernier, à l'occasion de sa mort, je ne puis m'empêcher de vous parler de Bernard Haitink (1929-2021). Parce qu'il était un homme d'exception. L'un des plus grands chefs du vingtième siècle. L'un des plus puissamment habités, dans le tréfonds de l'intériorité spirituelle, mais aussi corporelle, par la musique. Enfin et surtout, parce que j'ai regardé hier soir, sur Mezzo, le portrait absolument saisissant consacré à cet homme. Il m'a laissé comme pétrifié. La chaîne le repassera, je pense, en boucle. S'il vous plaît, ne le manquez pas.
 
On y découvre l'homme. Enfin, disons que Haitink, interviewé par Hans Haffmanns, homme de radio et de TV aux Pays-Bas, laisse perler de sa personne quelques éclats de diamant pur, nostalgie, tristesse apparente, émotion qui remonte, et puis soudain le regard qui éclate de mille feux lorsque l'on parle musique. Avec un sens du concret incomparable : partitions, choix de tempo, indications d'orchestre. L'exigence millimétrée d'un perfectionniste, au service de l'oeuvre, et d'elle-seule.
 
Et puis ? Et puis, il y a ce visage, qui me frappe depuis si longtemps. Une raideur, comme il en va de ceux qui furent frappés de brûlantes souffrances, ou de crises fulgurantes. Un rideau de tristesse. Un barrage, pour contenir l'émotion. Haitink est là, dans sa maison du Sud de la France, à converser avec Haffmanns. Ils ne parlent que de musique, que de l'essentiel. Sur l'écume, rien. Toute l'émission se déroule en néerlandais, on comprend presque à l'oreille, si on est germanophone, ou (j’imagine) anglophone. Sous-titres en anglais. On pourrait se croire au Rijkmuseum, galerie des portraits.
 
Et puis ? Et puis, la mémoire ! Elle remonte. Elle affleure. Elle arrive comme la vague, elle s'apprête à tout emporter. Premier souvenir de concert ? Haitink évoque immédiatement le Concertgebouw, 1938, Mengelberg à la baguette. Lui, Haitink, a neuf ans. Il découvre cet ensemble que plus tard il dirigera.
 
Et puis ? Et puis, on entre dans le détail ! Haitink nous sort Mahler : la partition du Chant de la Terre, Das Lied von der Erde. Avec les annotations du grand Mengelberg ! Et Haitink nous en détaille les notes, les corrections, les indications de rythme, de la main du maître d'avant-guerre, avec des crayons de couleur. Et Haitink nous tient un discours sur le discours de Mengelberg sur le Chant de Mahler !
 
C'est à cela qui doivent ressembler les émissions sur la musique. Pas de grandes paroles, romantiques (dans le mauvais sens), imprécises, volatiles. Mais la rigueur du concret.
 
Haitink était un géant. Comme Furtwängler. Comme Abbado. Comme Harnoncourt. Comme Mariss Jansons. Ce portrait, soutenu par l'intense beauté tragique du visage de Haitink, mais aussi par la rugueuse splendeur de la langue néerlandaise, en version originale, est à voir de toute urgence. Il est un portrait d'homme, juste égaré dans l'essentiel.
 
 
Pascal Décaillet

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