Commentaire publié dans GHI - Mercredi 10.11.21
Il y a des chiffres qui parlent d’eux-mêmes : en l’an 2000, il y avait 30'000 travailleurs frontaliers sur Genève ; ils sont aujourd’hui 92'000. En vingt ans, le nombre a triplé. Ce chiffre est terrible, et je vais vous dire pourquoi. En précisant toutefois une chose, très importante : nos voisins français sont nos amis. Ceux qui travaillent à Genève, et que nous croisons tous les jours, participent à notre prospérité. Il ne s’agit en aucun cas d’ériger cette affaire en querelle de personnes, ni en guerre entre la Suisse et la France. Nous avons besoin de travailleurs frontaliers, et ils ont besoin de Genève. Le problème, ça n’est pas le principe des flux quotidiens transfrontaliers, mais leur nombre, devenu tout simplement écrasant.
Dire que le chiffre est terrible, ça n’est pas s’attaquer aux hommes et aux femmes qui viennent travailler chez nous, ils sont nos amis, je le répète. Dire que le chiffre est terrible, c’est s’en prendre non aux humains, mais au chiffre-lui-même, qui est tout simplement dévastateur. De même, vouloir réguler l’immigration vers la Suisse, ça n’est en aucun cas xénophobe, c’est juste vouloir protéger les Suisses, les plus faibles d’entre eux, les plus précaires dans leur statut professionnel, les plus exposés à la concurrence internationale. Réguler, c’est vouloir le salut de la cohésion sociale suisse. C’est, au fond, une affaire des Suisses entre eux, et non des Suisses contre les étrangers. Ceux qui vous disent le contraire, notamment la gauche immigrationniste et (de l’autre côté) les ultra-libéraux déracinés des patries, vous mentent. Entre ceux-ci et ceux-là, quelque part dans le souci de la cohésion sociale la plus puissante possible, s’est toujours tracé mon chemin politique : ni gauche, ni libre-échange ; ni Etat-Providence, ni génuflexion devant la tyrannie des marchés. Pour la Nation. Et pour le social.
Et c’est pour cela que je qualifie de « terrible » le triplement du nombre des frontaliers. Parce qu’il représente, à Genève, l’échec de l’Etat, de l’arbitrage, de la régulation, des équilibres (chers à Delamuraz). Et le triomphe du laisser-faire. D’une libre-circulation chaotique, échappant à toute règle, juste là pour satisfaire les appétits de profit d’un certain patronat. La sous-enchère, à Genève, ça existe ! La préférence cantonale a pourtant progressé, dans les consciences, ces quinze dernières années. Mais dans les consciences, seulement ! Dans les faits, on la laisse dormir au fond d’un tiroir ! Que fait l’Etat pour protéger les résidents genevois ? Que fait-il pour aider nos chômeurs, record de Suisse si l’on compte l’aide sociale ? Que fait-il pour former enfin, sur Genève, du personnel infirmier en nombre suffisant ? Que fait-il contre la sous-enchère ? Comment a-t-on pu laisser à ce point la jungle gagner la guerre, l’Etat capituler, le verbe perdre son crédit ? Et le parti même, à Genève, qui dès 2005, à juste titre, tirait la sonnette d’alarme, que lui reste-t-il de sa fougue, de sa combativité ? Ces questions dérangent ? Eh bien dérangeons !
Pascal Décaillet