Sur le vif - Dimanche 03.10.21 - 13.50h
Vous aimez les incantations, les danses de pluie ? Alors, écoutez les 6'32" d'interview de Thierry Burkart, nouveau Président du PLR suisse, hier soir en ouverture de Forum.
L'Argovien - dont nous ne mettons en cause ici ni les compétences, ni la sympathie - a réussi à caser neuf fois le mot "libéral", et une fois le mot "libéralisme". En 6'32".
Tout le monde n'est pas obligé, comme votre serviteur, de s'être passionné de longues années pour l'Histoire politique suisse, et notamment celle du Freisinn, qui a donné son nom à l'appellation alémanique du parti, et va puiser ses sources à la fois dans le libre-arbitre, la liberté de conscience, et les franchises économiques. En un mot, les grandes idées, en France puis en Allemagne, autour de la Révolution française.
En martelant, en français (qu'il part fort correctement), le mot "libéral", M. Burkart pense, en allemand, au mot "freisinnig". C'est bien naturel : en allemand il n'y a qu'un mot.
Mais en français, M. Burkart, il y en a deux. "Libéral", mais aussi "radical". Et en français, Monsieur le Président, la réception, dans les esprits, n'est pas la même, quand vous dites "libéral", qu'à un germanophone, quand vous lui dites "freisinnig".
Le Romand, lui, entend encore, nécessairement, "Parti libéral", une mouvance qui a marqué la Suisse francophone pendant un siècle et demi, notamment Genève, Vaud et Neuchâtel. Il entend aussi, dans un sens éminemment plus contesté, la mouvance anglo-saxonne de déréglementation, de rejet de l'Etat et d'obsession des marchés, qui tente de s'imposer depuis quarante ans. Souvent, il rend hommage à la première de ces deux acceptions, avec le souvenir de grandes figures, comme Olivier Reverdin. Mais se montre infiniment plus sceptique face à la seconde. D'aucuns avancent même que celle-ci, devant l'Histoire, a déshonoré celle-là.
Car il existe, dans l'oreille romande, un autre mot : le mot "radical". Le grand parti qui a fait la Suisse moderne. Celui qui a fait l'Etat fédéral, nos institutions, l’École, nos grandes Écoles fédérales, les grandes régies, notre système de sécurité. Ca n'est pas rien. Et on est très loin, là, de la seule génuflexion devant le miracle des marchés.
Vous êtes, Monsieur Burkart, le Président d'un parti fusionné entre ces deux grandes traditions. On nous dit, on nous répète à l'envi, que la greffe est réussie, que les nouvelles générations sont PLR, n'ont que faire de la différence entre "libéraux" et "radicaux".
Je veux bien.
Mais alors, Monsieur le Président, faites attention quand vous glissez neuf fois le mot "libéral", et une fois le mot "libéralisme", dans une interview de 6.32". A un esprit chagrin, ou suspicieux, moins ouvert que votre serviteur à dégager les nuances sémantiques du français et de l'allemand, vous risqueriez d'apparaître comme un ultra, un surexcité des marchés mondialisés, un golden boy de la réussite individuelle, un tétanisé du libre-échange, de la libre-circulation, de l'immigration non-contrôlée.
Je ne suis pas sûr que cette image-là, par les temps qui courent, serve au mieux votre intérêt. Ni les intérêts supérieurs de la politique suisse.
Pascal Décaillet