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La Suisse, l'Europe, les pleureuses

 

Commentaire publié dans GHI - Mercredi 02.06.21

 

Insupportables pleureuses, dignes des cimetières méditerranéens ! Insupportables pleureurs ! Vous nous noyez de vos larmes, alors que le Conseil fédéral, sur l’Europe, a pris sa meilleure décision depuis de longues années. Enfin, claire. Enfin nette. Tranchante. A hauteur du gouvernement d’une nation certes paisible, amie de ses voisins, désireuse d’échanger et de partager, mais viscéralement attachée à sa souveraineté. La Suisse, dans le concert des nations, est un tout petit pays, aux équilibres fragiles, sans matières premières, entouré de voisins puissants, à commencer par la France et l’Allemagne. Nous les aimons, ces voisins, je suis le premier à les aimer : je rédige depuis six ans une Histoire de l’Allemagne en 144 épisodes, dont 32 déjà publiés, je me nourris depuis l’enfance d’Histoire de France, je vibre pour l’étude du monde arabe et du Proche-Orient, on peinerait à me taxer de Suisse replié.

 

Oui, la Suisse est petite et fragile. Mais, au fil des siècles, patiemment, elle a tissé, à l’interne, des liens puissants, de confiance et de respect des équilibres, qui lui permettent de tenir, face au monde, avec la cohérence d’une nation, parmi les autres. Depuis 1848, notre pays a construit un système institutionnel, une démocratie directe (1891, surtout), une volonté de représentation proportionnelle à Berne (1919), une aspiration au dialogue social (1937), qui, peu à peu, ont dessiné les contours d’un pays ouvert, respectueux, travailleur, soucieux de finitions, que beaucoup nous envient. Et puis, après la guerre, il y a eu l’immense aventure de nos assurances sociales, dont la pierre angulaire est l’AVS, débattue en 1947, entrée en vigueur en 1948. Profs d’Histoire, apprenez ces choses-là à vos élèves !

 

Petit pays, face aux masses tectoniques des grands mouvements européens. Ils n’ont pas commencé avec le Traité de Rome, qui lance en 1957 l’aventure de l’Europe communautaire, bien sûr que non, ils ont toujours été là : Saint-Empire, Révolution française, guerres napoléoniennes, construction des identités nationales, guerres mondiales. Nous avons toujours eu, dans l’ombilic alpin de ce continent en fusion, les ressources pour nous définir, parfois dans la communauté de destin (1848), parfois dans la différence. Avec plus ou moins de gloire, plus ou moins de panache, parfois plutôt moins que plus, nous avons toujours fini par trouver les issues. Le sort des petits n’est peut-être pas de se couvrir d’héroïsme, mais de permettre aux siens de survivre.

 

Dans ces conditions, il faut dire, très fort, aux pleureurs et aux pleureuses, que leurs jérémiades nous fatiguent. L’Accord-cadre, que le Conseil fédéral a décidé à juste titre d’enterrer, le mercredi 26 mai 2021, n’était pas bon. Il était atrocement mal fagoté, posait des problèmes sociaux et institutionnels insurmontables, il fallait mettre fin à l’exercice, c’est chose faite. Maintenant, gardons notre calme. Respirons. Et réapprenons à nous parler, entre Suisses, avant d’envoyer à Berne des diplomates avec des sacs de nœuds dans leurs valises.

 

Pascal Décaillet

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