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Bonaparte, l'homme qui surgit

 
 
*** Essai, d'une traite, à quatre jours d'un bicentenaire - Samedi 01.05.21 - 17.58h ***
 
 
D'abord, dans un monde qui subit la plus grande mutation politique de son Histoire, qui a pour nom la Révolution française, Napoléon est un être qui surgit. C'est la première chose qui me frappe, depuis l'enfance. Petite noblesse corse, assez modeste pour être l'homme issu du peuple. Capitaine de 24 ans, il lève le siège de Toulon. Rien que cela, c'est prodigieux. Nous sommes en 1793, la Révolution a quatre ans, l'Anglais la menace, un officier gamin renverse le cours de l'Histoire. Déjà là, l'homme surgit.
 
Et toute sa vie, il surgira. 1796, Général en chef de la Campagne d'Italie, il a 27 ans, il passe les Alpes une première fois, déboule sur le Piémont, puis sur la Lombardie, négocie lui-même la paix avec l'Autrichien, grille Carnot dans son autorité politique, c'est au-delà du prodige.
 
En Égypte aussi, 1798, il surgit. Bataille des Pyramides. Mamelouks. Il écrit la légende, la sienne, celle de la France, celle du monde. Il revient brutalement au pays, quitte son armée, ça n'est pas loin d'une désertion, peu importe : lui, il arrive à Paris, et s'empare du pouvoir. Nous sommes en 1799. Il a 30 ans.
 
Le reste, vous le connaissez. Le Consulat, l'Empire, les grandes batailles, les innombrables victoires, le sang versé, les lois, le Code civil, la refonte complète de l'administration : ça n'est plus la Révolution, mais c'est tout, sauf l'Ancien Régime. L'Empire est une période unique, à nulle autre comparable, quand même beaucoup plus proche des grands idéaux révolutionnaires que d'un ordre féodal abandonné pour jamais dans les années 1789-1793. Il n'y aura pas de retour à l'Ancien Régime. Même les trois derniers rois, à la Restauration (Louis XVIII, Charles X, Louis Philippe) n'ont plus rien à voir avec les Capétiens. L'ordre divin est révolu.
 
Napoléon surgit. A Austerlitz, il surgit. A Eylau, il surgit, par la Cavalerie de Murat. A Wagram, il surgit. Et encore à la Moskova, il surgit. Il est l'inattendu, l'imprévu, le non-désiré, celui qu'on ne voulait pas, mais qui n'a rien demandé à personne pour assumer son destin. Et encore au retour de l'île d'Elbe, le 1er mars 1815, à Golfe-Juan, sur les rivages de cette France qui s'emmerdait déjà ferme avec le bon gros Louis XVIII, l'Aigle surgit. Et de clocher en clocher, jusqu'à Paris (20 mars), il surgira.
 
Bien sûr, il y aura Waterloo, Sainte-Hélène. Mais au Retour des Cendres, dix-neuf ans après sa mort, en 1840, l'Aigle surgit. Et son fantôme est encore plus saisissant que le personnage réel. Et Hugo, Stendhal, forgent la légende. Et l'Aigle vole, de coeur en coeur, d'âme en âme. Et la nostalgie de cette épopée immense, toute sanglante fût-elle, envahit la France. Elle ne la quittera plus.
 
Je m'intéresse à Bonaparte depuis l'enfance. C'est l'homme sur lequel j'ai lu le plus de livres. Et pour cause : c'est celui sur qui on en a le plus écrits !
 
La droite bonapartiste, grognarde, mais au fond profondément républicaine, la droite nationale, sociale, fraternelle, simple et chaleureuse, proche du peuple, a toujours eu mes sympathies. Les orléanistes, au contraire, me font fuir.
 
En ce sens, oui, le legs à mes yeux est immense. Je suis Valaisan de Genève, ou Genevois d'origine valaisanne, comme on voudra, je me suis passionné pour l'Histoire de ces deux Cantons. Par hasard, l'un et l'autre, dans la même période (1798-1813), furent profondément marqués pas la France du Directoire, du Consulat, puis de l'Empire. Ca crée des liens, dans le seul ordre qui vaille à mes yeux : celui de la mémoire.
 
Et puis, je suis tellement habité par l'Histoire allemande. Et aucun pays d'Europe, à part la France elle-même, n'a été aussi imprégné par Napoléon que les Allemagnes. C'est l'occupation de la Prusse, entre 1806 et 1813, par les Français, qui sonne le réveil de la conscience nationale allemande.
 
Bien sûr, il y eut le sang versé, beaucoup de sang. Mais il y eut, comme dans une tragédie, une Histoire incomparable, de celles qu'on ne cesse de scruter, retrouver, réinventer. L'homme sur qui on a écrit le plus de livres ! Et la légende, sublime et tenace. Plus forte que les Lumières. Plus puissante que la Raison.
 
Je dédie ces quelques lignes à mon confrère et ami Pierre-Alexandre Joye, camarade d'armée, frère d'armes en journalisme, hélas beaucoup trop tôt disparu. Nous avions pensé à la Bataille des Nations, en juillet 1999, en traversant Leipzig, ville natale de Richard Wagner. Nous passions notre temps à échanger sur l'Empire. Nous avions rêvé d'aller un jour à Sainte-Hélène. Ce sera pour d'autres vies. Le souvenir et la fidélité demeurent.
 
 
Pascal Décaillet
 

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