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Autodafé dominical

 

Sur le vif - Dimanche 12.05.19 - 15.43h

 

Par pitié, frères en écriture, cessez de publier des livres ! Je sais, mon propos déplaira aux éditeurs, parmi lesquels j'ai quelques amis, mais de grâce cessez de rêver à sortir des bouquins !

 

A moins d'être un grand écrivain, ou un grand poète, il y a mille fois mieux à faire que de pondre des livres. Abattre des arbres, engraisser l'industrie du papier, le lobby des industriels de l'imprimerie et des rotatives, juste pour avoir son heure de gloire, quelques jours, quelques semaines, sur la devanture d'une librairie. Et puis, basta, on vend quelques exemplaires, on en expédie hélas des milliers au rebut, on aura fait tourner pour rien une industrie qui se meurt, juste pour la gloriole des quelques jours dans la vitrine.

 

Ma position est paradoxale : je suis un fou de livres. J'en ai partout, ils ont envahi mon univers, j'ai l'intention d'élaguer, mais reporte constamment le passage à l'acte. Et puis, quand même, il y en a un bon millier auxquels je tiens. Et une ou deux centaines, jusqu'à la fin, me suivront partout.

 

Alors, de grâce, ne venez pas me faire la leçon ! J'ai lu, moi aussi, quelques milliers de livres, ils m'ont nourri, sans eux je ne serais rien, je sais le rôle de la Bible (étymologiquement le Livre) dans nos civilisations, j'ai écrit sur le rôle immense de la traduction qu'en a faite Luther en 1522.

 

Mais désolé, le livre n'est pas une fin en soi. D'autres supports - celui par exemple sur lequel nous sommes - permettent parfaitement de véhiculer des idées, et par pitié, de venez pas nous sortir l'argument de l'odeur du papier, je suis le premier à tout renifler, je sais cela.

 

Il y a des amoureux du livre. Et il y a, hélas, des fétichistes du livre. Je sais bien que rien ne remplacera le codex, l'invention est géniale, inégalable en termes pratiques, cela ne mourra pas. Du reste, rien ne meurt, les nouveautés s'ajoutent.

 

Assurément, je n'aurais pas l'idée de lire Thomas Mann, ni Brecht, ni Koltès, ni Gide, ni Annie Ernaux sur un écran. Mais un essai politique ? Sociologique ? Pourquoi diable faut-il que le moindre pisseur de texte considère comme le Nirvana d'être publié chez un éditeur, avec envois (de plus en plus inutiles) en service de presse, tournée promotionnelle dans les médias, grand foin et monstre tintamarre, pour finalement... n'en vendre que quelques dizaines d'exemplaires, et finir au pilon ?

 

Oui, il existe un lobby des éditeurs. Un lobby du livre. Un lobby de l'industrie du papier. Non, tout texte n'a peut-être pas destination à s'incarner dans ce qui fut un arbre, et qui pour lui fut sacrifié. Oui, le numérique a du bon. Et le seul fait que vous soyez ici, sur ce support-là, en train de me lire, plutôt qu'à hanter en extase la Bibliothèque de France, le prouve avec éclat.

 

Pascal Décaillet

 

 

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