Publié ce matin , 09.11h, sur mon site FB - Samedi 25.06.16
Depuis 48 heures, et c'est bien normal, on ne parle que du Royaume-Uni et de l'Europe continentale. C'est normal, oui, vu les évènements, mais le degré de collaboration institutionnelle des Îles Britanniques avec Bruxelles n'est de loin pas l'enjeu majeur de l'Europe. Le pari de l'appartenance n'aura duré que 43 ans, de 1973 à 2016. C'est très peu, en regard de l'Histoire.
Il n'y a pas de question européenne, il y a juste une immense question allemande. En 1957, au Traité de Rome, l'Allemagne, douze ans seulement après la défaite, intégrait bien sagement les Six pays fondateurs de la Communauté économique européenne. Gouvernée par le gentil conservateur catholique Konrad Adenauer, un homme si présentable, qui avait tenu tête à Hitler, l'Allemagne était polie, réservée, rassurante.
Au milieu d'autres gentils catholiques, de Gasperi pour l'Italie, Schuman pour la France, Adenauer, au pouvoir depuis 1949, travaillait à une sorte d'internationale catholique européenne, de Saint-Empire démocrate-chrétien, plutôt Gibelin que Guelfe, qui nous affranchirait des nations au profit d'une superstructure rappelant à s'y méprendre celle des Princes Électeurs, jusqu'à la dissolution du Saint-Empire par Napoléon, en 1806.
C'était l'époque où, politiquement, l'Allemagne se faisait toute petite, rasait les murs. La réalité, c'est que dès le début, très lentement, patiemment, inexorablement, sous le paravent de l'Europe, l'Allemagne se remettait à jouer son jeu. Reconstitution d'une force militaire, sous couvert d'Otan, prodigieuse vitalité de son économie, maîtrise des matières premières sidérurgiques, tout cela avec le sourire, la courtoisie de ceux qui cherchent à se faire oublier.
Et puis, il y a eu Willy Brandt. La géniale intuition de l'Ostpolitik. La génuflexion de Varsovie (1970). L'Allemagne, sous l'impulsion d'un Chancelier hanséatique, issu de la même ville que Thomas Mann (Lübeck), rappelait au monde qu'une partie de son destin était à l'Est. Et puis, il y a eu la chute du Mur (1989), et, sous l'impulsion d'un autre conservateur catholique de Saint-Empire, Helmut Kohl, Rhénan comme Adenauer, l'Allemagne a, plus que jamais, joué le double jeu de son apparente loyauté européenne et de son propre destin national. Personne, ou presque, n'y a rien vu. Seuls des hommes comme Jean-Pierre Chevènement, que j'interviewais régulièrement à l'époque, démontaient ce double jeu. C'est Kohl qui, avec son ministre Genscher, a largement contribué à démembrer l'ex-Yougoslavie, sanctifiant les anciens pays vassaux du monde germanique, comme la Croatie, diabolisant les autres, comme la Serbie.
Ne parlons pas de Mme Merkel. Sous couvert européen, reconstitution de tous les axes de pénétration du monde germanique, c'est particulièrement éloquent dans la question ukrainienne. Avec la Grèce, la Chancelière se comporte avec la tonalité d'un Roi-Sergent, ce père de Frédéric II qui brutalisait le futur grand roi.
En regard de cette lente et inéluctable renaissance de la puissance allemande, l'affaire britannique, toute sonore soit-elle ces jours, est d'une importance mineure. L'Europe peut vivre sans l'Angleterre, mais sans l'Allemagne ? C'est l'Allemagne qui a voulu l'élargissement à l'Est, elle a exactement désigné les pays qui l'intéressaient comme futurs marchés pour les entreprises allemandes, et tout le monde a suivi. La France va très mal, le Royaume-Uni prend le large, mais l'Allemagne se porte à merveille. Elle a, dit-on, perdu la Seconde Guerre mondiale (j'en suis de moins en moins sûr), mais elle a, sans tirer un seul coup de feu, génialement gagné l'après-guerre. Ce qu'on appelle aujourd'hui "Europe", c'est une Allemagne consolidée.
Il n'y a pas de problème européen, pour la simple raison que le mot "Europe" ne veut rien dire.
Il n'y a pas de problème européen. Il y a juste une question allemande.
Pascal Décaillet