Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Genscher, un destin allemand

hans-dietrich-genscher-108~_v-gseapremiumxl.jpg 

Sur le vif - Vendredi 01.04.16 - 17.26h

 

« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans ». Hans-Dietrich Genscher (1927-2016), ce géant de la politique allemande qui vient de nous quitter à l’âge de 89 ans, connaissait-il ce vers de Rimbaud ? Lui, natif de Reideburg, près de Halle (la ville de Haendel), qui fut mobilisé à l’âge de seize ans comme auxiliaire dans la Luftwaffe, et fit partie, les deux dernières années de guerre, de ces « Marie-Louise », ces ados que le Troisième Reich déclinant enrôlait, de plus en plus jeunes, à l’instar de ces gamins de la Campagne de France à qui Napoléon avait promis, en 1814, la gloire éternelle sur les ultimes champs de bataille de l’Empire. Quelques années plus tôt, à dix ans (1937), il avait déjà perdu son père. Il est, vous en conviendrez, des débuts de vie plus heureux. Le sien, comme celui de Willy Brandt, d’Helmut Schmidt, sera marqué dès les jeunes années par le sceau du destin allemand. Au fer rouge.

 

Pour comprendre Genscher, il faut bien se dire qu’il est, par sa naissance, sa culture, sa formation, un Allemand de l’Est. Non au sens du régime politique de la RDA (qu’il quittera en 1952 pour s’installer à l’Ouest), mais au sens de la Saxe-Anhalt, de ces provinces certes profondément allemandes, mais déjà prises dans le tropisme d’une autre Europe, celle de la Prusse et de la Pologne, et jusqu’aux grandes plaines de Russie. Lorsque, plus tard, avec et après Willy Brandt, il œuvrera à l’édification d’une Ostpolitik, c’est en parfaite connaissance de cause, en intimité de relation avec les Marches orientales de l’Allemagne, dans la conscience de l’extrême complexité d’un dessin définitif de la frontière germano-polonaise, même s’il signera, lui Genscher, avec le Polonais Skubiszewski, la reconnaissance de la ligne Oder-Neisse, en 1990. L’année de la réunification.

 

Cette ouverture d’esprit aux réalités de l’Est, ce refus de diabolisation de l’Union soviétique (dûment encouragée en RFA lors de la Guerre froide, je l’ai vécu sur place), n’ont pas fait à Genscher, à l’Ouest, que des amis. Mais l’homme qui a dirigé pendant dix-huit ans (1974-1992) la diplomatie allemande, huit ans sous le chancelier social-démocrate (SPD) Helmut Schmidt, puis dix sous le chrétien-démocrate (CDU) Helmut Kohl, après avoir été cinq ans (1969-1974) ministre fédéral de l’Intérieur de Willy Brandt, comment un tel homme aurait-il pu si longtemps assumer la permanence des intérêts supérieurs de l’Allemagne, s’il avait laissé en son for l’idéologie l’emporter sur le pragmatisme, et la connaissance du terrain ? Le legs de Genscher, comme celui des tout grands, les Bismarck et les Metternich, c’est d’être parti, toute sa vie, de la dureté du réel, la connaissance des hommes et des rapports de forces. C’est ce qui lui a permis, lui qui a connu à 18 ans l’Allemagne Année Zéro (1945), de faire partie – au tout premier rang – de ceux qui en ont fait aujourd’hui la première puissance d’Europe, et l’une de celles qui comptent dans le monde.

 

La restauration de la grandeur politique allemande ne va pas sans zones d’ombres, et les historiens mesureront la part que Genscher y aura tenue. Ainsi, sa politique, plus ou moins ouvertement connue, lors de l’éclatement des Guerres balkaniques au début des années 1990. Il conviendra aussi de se demander si le pragmatisme de Genscher n’a pas, parfois, outrepassé les limites du genre : c’est lui, en 1982, qui précipite le renversement d’alliances de son parti (le FDP, les libéraux), permettant à Helmut Kohl l’accès au pouvoir. Et rejetant dans l’opposition ce très grand chancelier, largement sous-estimé, qu’était Helmut Schmidt. Lui encore qui si souvent, sous couvert de « politique européenne », avançait en fait les cartes des intérêts profonds de l’Allemagne. Assurément, les Allemands n’ont pas à le lui reprocher, il était là pour tenir ce rôle-là. Mais les « Européens » ?

 

 

Reste la grandeur d’un homme. Son sens politique hors-pair. Sa défense sans faille des intérêts nationaux. Sa patience exemplaire dans la reconstruction de son pays, à partir de la destruction totale de 1945, jusqu’à aujourd’hui. Cette Allemagne, oui, assez vite redevenue un géant économique, puis aussi (plus lentement) une grande puissance politique. Le destin de cet homme, trop jeune combattant de la Wehrmacht, défenseur de Berlin au printemps 1945, prisonnier de guerre à 18 ans, puis trois ans tuberculeux, immense lecteur, véritable pont de conscience entre l’Allemagne de l’Est et celle de l’Ouest, visionnaire de l’Ostpolitik, mérite largement d’être scruté avec précision par les historiens. Un destin allemand dans le siècle vient de prendre congé. Entre la permanence du tragique et l’espoir d'une Allemagne porteuse des plus grandes valeurs : celles de Luther et de Bach, de Haendel, Hölderlin et Thomas Mann.

 

 

Pascal Décaillet

 

Les commentaires sont fermés.