Éditorial publié ce matin en première page du Giornale del Popolo, sous le titre "L'UDC, l'inizio di una nuova era".
Toni Brunner, Christoph Blocher : en l’espace de deux jours, deux démissions au sommet de l’UDC suisse. Toni Brunner, le président. Christoph Blocher, officiellement vice- président, mais surtout âme fondatrice, figure tutélaire, l’homme sans qui rien, dans l’ascension du parti ce dernier quart de siècle, n’aurait été possible. Une double déflagration dans le ciel politique suisse de ce début d’année, d’autant moins attendue que le parti obtenait, le 18 octobre dernier, en tutoyant les 30%, son meilleur résultat historique au National.
Il est certes toujours préférable, pour des généraux, de se retirer au lendemain d’une victoire qu’à la suite d’une défaite. Mais il y a autre chose, de plus fondamental : l’UDC suisse, premier parti du pays, se trouve à un tournant de son Histoire. Elle entre dans une période nouvelle. Moins fracassante, sans doute, que les temps héroïques des premiers conquérants (Blocher, Maurer, Brunner), mais plus gouvernementale, plus responsable. La parenthèse Widmer-Schlumpf (2007-2015) est maintenant fermée, l’UDC a deux conseillers fédéraux, le nouvel élu (Guy Parmelin) faisait partie du ticket officiel, bref le temps des psychodrames doit laisser la place à celui de la gestion du pays.
On notera tout de même que Toni Brunner, comme son prédécesseur Ueli Maurer, a fort bien fait son boulot : le Saint-Gallois comme le Zurichois (aujourd’hui conseiller fédéral, et nouveau ministre des Finances), ont patiemment prolongé l’œuvre de croissance et de conquête entamée pas Christoph Blocher lors de la campagne du 6 décembre 1992, sur l’Espace Economique Européen. Un quart de siècle d’expansion ! Aujourd’hui, l’UDC est partout. Elle a deux conseillers fédéraux, de deux régions linguistiques différentes, elle domine le National, le parti est incontournable.
La succession Brunner, le 23 avril à Langenthal, semble déjà jouée, puisque la direction du parti propose le conseiller national bernois Albert Rösti (le nom ne s’invente pas !) pour succéder au vaillant paysan saint-gallois. Il faudra aussi repourvoir le secrétariat général du parti : Martin Baltisser, lui aussi, s’en va. Plus qu’une valse de personnages dans le palais, c’est bel et bien une page qui se tourne dans l’Histoire de l’UDC.
Pour aller où ? La réponse est multiple. Globalement, il faudra gouverner le pays, en phase notamment avec le PLR, mais en sachant qu’entre ces deux partis de droite, malgré de nombreux horizons communs, il y a la dissension fondamentale sur la libre circulation des personnes. Quelle application pour le 9 février 2014 (initiative sur l’immigration de masse) ? Quels rapports avec le patronat ? Quel discours face à l’Union européenne ? Il y a du pain sur la planche !
La nouvelle direction du parti devra briller dans l’art de la politique, avec au programmes des exercices d’équilibrisme : demeurer le « parti du peuple » (Volkspartei), avec ses composantes telluriques, colériques, capables de secouer l’establishment, tout en participant de manière compétente et responsable au plus haut niveau de gestion. « Responsable », cela ne signifie pas renoncer à ses valeurs en matière de libre circulation (pourquoi l’UDC devrait-elle reculer, et pas le PLR ?). Non, cela signifie continuer à défendre son point de vue, mais avec des tonalités adaptées à la rhétorique fédérale. A Berne, il faudra se montrer ferme, mais courtois. C’est parfaitement possible.
Et puis, d’autres hommes arrivent. Dans toutes les parties du pays. En Suisse romande, des figures conservatrices émergent, dont on va beaucoup parler ces prochaines années. A Berne, mon confrère Roger Koeppel, meilleur élu de l’Histoire suisse le 18 octobre dernier, apparaît déjà comme l’un des hommes forts de l’UDC nouvelle. Ses tonalités à lui, lisibles tous les jeudis dans la Weltwoche, nous ouvrent des horizons intellectuels et culturels qui ne se limitent pas, allez disons-le comme cela, au simple cercle de sciure d’une Fête de lutte. Eh oui, la pensée conservatrice, en Suisse, est en marche. Et ses outils d’approche vont en surprendre plus d’un.
Pascal Décaillet