Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.09.15
Les images sont terribles, nous les avons tous en tête. Ce qui est en train d’arriver à l’Europe est non seulement une crise aiguë de la demande d’asile, liée principalement aux horreurs de Syrie, mais aussi une crise de la migration, notre continent étant considéré par des millions de personnes comme un eldorado. Dès lors, que faire ? La question est majeure. Elle est vitale pour ceux qui frappent à nos portes. Elle l’est aussi pour nos pays d’Europe : chacun d’entre eux, membre ou non de l’Union européenne (ces questions d’appartenance deviennent secondaires face à l’enjeu), doit trouver un équilibre entre générosité, respect de la tradition d’asile, et prise en compte de sa capacité à supporter (ou non) une vague d’immigration sans précédent. Ou presque : rappelons ici ce qui fut si longtemps occulté par l’Histoire, les 12 à 15 millions d’Allemands dont les familles étaient implantées, parfois depuis des siècles, en Europe de l’Est, et qui, pour fuir l’arrivée de l’Armée Rouge, ont reflué, en 1944, 1945, vers une « Mère Patrie » en ruines, vaincue, occupée par quatre puissances étrangères.
Nous, Européens, entendez habitants de ce continent, nous voilà donc tous face au dilemme. La plupart d’entre nous sont déchirés : accueillir oui, se laisser submerger, non. Mais alors, comment choisir, comment trier, en vertu de quelle concertation avec nos pays voisins ? Oui, la plupart d’entre nous sont dans le tiraillement de cet entre-deux : ni la fermeture totale des frontières, qui ferait de notre communauté nationale une sorte de fortin, ni la béate sanctification de « l’Autre », qui nous amènerait à accueillir tout le monde, sans distinction, au nom de la très grande richesse du métissage, et du brassage. C’est entre ces deux extrêmes idéologiques que le peuple suisse, et avec lui ses autorités, doivent élaborer des solutions. En concertation avec les pays voisins, mais en demeurant souverains dans la prise de décision. C’est entre ces deux excès que la Suisse, au moins depuis 1848 (à vrai dire, bien avant), a su construire son rapport à l’Autre, sa politique face au Refuge, entre tradition humanitaire et prise en compte de ses réalités démographiques.
Car la question démographique, en Suisse, est centrale. Le 9 février 2014, ça n’est pas en priorité sur l’asile, mais sur le solde migratoire que le peuple et les cantons ont souverainement pris une décision. Cette dernière, hélas, près de deux ans après, n’a toujours pas été concrétisée par Berne, et cette lenteur à mettre en application une décision populaire aura, c’est sûr, des conséquences le 18 octobre prochain. Ce jour-là, lors des élections fédérales, une bonne partie du corps électoral pourrait bien sanctionner sévèrement les partis qui ont toujours nié la migration comme thème. Et pourrait bien, aussi, accorder sa confiance à ceux qui, depuis près d’un quart de siècle, en font une question majeure. Ce jour-là, le souverain pourrait bien ne pas se tromper sur l’original, la copie, voire la falsification. J’entends déjà certains perdants hurler au loup, au populisme. Ils auront tort : quelle que soit la réponse qu’on entend lui donner, le phénomène migratoire est un thème. Assurément, ces temps, celui qui préoccupe le plus nos concitoyens.
Pascal Décaillet