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Le méchant Décaillet répond au gentil Longet

 

Sur le vif - Mardi 23.11.10 - 11.57h

 

Chère et ravissante victime,

 

Vous avez raison, je suis un homme méchant. Enfant déjà, j’imaginais les pires supplices pour mes adversaires, j’adorais les poètes, détestais le socialisme. J’aimais l’histoire des guerres et des traités, la littérature du Mal, les récits de meurtre et d’inceste, le loup de la fable, le vertige du « e » muet perdu dans les syllabes et les strophes obscures. Plus tard, j’ai passionnément aimé François Mitterrand, qui était socialiste comme je suis Javanais. J’aimais sa part de noirceur, tellement romanesque. C’était un homme qui savait écrire et qui savait parler. Pour moi, c’est beaucoup.

 

Dans un texte que vous publiez aujourd’hui, vous pleurnichez sur ma méchanceté. Si vous saviez comme je vous comprends ! Croyez-vous qu’il soit drôle d’avoir en soi le Mal, vissé, chevillé, enraciné, là où d’autres, comme vous, semblent nés chérubins, trônes ou séraphins, candides à coup sûr, immaculés, promis au Grand Soir comme d’éternelles fiancées. Je vous envie, René, car la vie est en vous, simple et tranquille, délivrée de la noire puissance du Verbe, promeneuse et sautillante dans un immense jardin de roses. Quand j’étais enfant, on me parlait des limbes, une sorte de paradis ouaté, anesthésié, pour l’éternité des innocents. Les roses sans les épines, la vie sans la souffrance, l’amour sans la mort. L’éternité, sans même le poids des années. La Parole, sans le Verbe.

 

Bien entendu, je continuerai d’être méchant. Car nul, ici-bas, ne se remet de son état. Je résisterai à vos pressions, à celles de vos amis blessés, compagnons de larmes. A ceux, un peu moins gentils que vous, qui manœuvrent souterrainement pour que roule ma tête dans la sciure. A ceux qui colportent la rumeur, de cocktail en cocktail. A ceux, bien plus dévastateurs encore, qui la saisissent, s’en effrayent, s’en confient à moi avec paternalisme. Pour que je m’édulcore. A cette impavide et frémissante félicité des cloportes. Oui, chère et délicieuse victime, je résisterai. A vous, à certaines gardes noires, aux amicales suggestions de mes pairs, à la visqueuse et rampante horizontalité de la parole mondaine, qui est au Verbe ce que ce que le bruit est au murmure. Quelques haillons de néant.

 

Pascal Décaillet

 

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